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Eglises orientales : l’humanité, «championne pour faire la guerre»! déplore le pape

Eglises orientales : l’humanité, «championne pour faire la guerre»! déplore le pape

« En ce moment, où il y a partout tant de guerres », l’appel « des papes comme des hommes et des femmes de bonne volonté, n’est pas écouté », a dénoncé le pape François, ce matin encore, rappelant entre autres l’avertissement du pape Benoît XV à la veille de la première guerre mondiale. L’humanité « est championne pour faire la guerre », a-t-il déploré.

Le pape François a reçu en audience les participants à l’assemblée plénière de la Congrégation pour les Eglises orientales, dirigée par le cardinal argentin Leonardo Sandri, ce vendredi matin 18 février 2022, dans la Salle Clémentine du Palais apostolique du Vatican.

Après les « massacres des conflits au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak », au « Tigré dans la région éthiopienne », sans oublier le « drame du Liban » qui perdure, « des vents menaçants soufflent encore sur les steppes de l’Europe orientale, allumant les mèches et le feu des armes et glaçant le cœur des pauvres et des innocents » qui, « eux, ne comptent pas », a alerté le pape.

Le pape a invité les responsables des Eglises catholiques orientales à donner au monde « le témoignage de la communion » à travers la liturgie : « que chaque composante de l’unique et symphonique Eglise catholique reste toujours à l’écoute des autres traditions, de leurs parcours de recherche et de réforme, tout en maintenant, chacune sa propre originalité », a-t-il encouragé, tout « en évitant les particularismes liturgiques ».

Discours du pape François

Je remercie le cardinal Sandri pour ses paroles de salutations et de présentation ; et je remercie chacun d’entre vous d’être là, en particulier les personnes qui viennent de loin.

Ce matin, vous avez prié devant la Confession de l’apôtre Pierre, renouvelant ensemble votre profession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Nous avons accompli la même démarche avant la messe du début de mon pontificat, pour manifester, comme le disait le pape Benoît XV, que « dans l’Eglise de Jésus-Christ, qui n’est ni latine, ni grecque, ni slave, mais catholique, il n’existe aucune discrimination entre ses enfants et que tous, latins, grecs, slaves et d’autres nationalités, ont la même importance » (Encyclique Dei Providentis, 1er mai 1917). C’est vers lui, le fondateur de la Congrégation pour les Eglises orientales et de l’Institut pontifical oriental, que se tourne notre mémoire reconnaissante, cent ans après sa mort. Il a dénoncé l’incivilité de la guerre comme un « massacre inutile ». Son avertissement n’a pas été écouté par les chefs des nations engagées dans le premier conflit mondial. L’appel de saint Jean-Paul II n’a pas été écouté non plus pour empêcher le conflit en Irak.

De même en ce moment, où il ya partout tant de guerres, cet appel des papes comme des hommes et des femmes de bonne volonté, n’est pas écouté. Il semble que le plus grand prix pour la paix doive être donné aux guerres : une contradiction ! Nous sommes attachés aux guerres, et c’est tragique. L’humanité, qui se vante de progresser dans la science, la pensée, dans beaucoup de belles choses, construit la paix à reculons. Elle est championne pour faire la guerre. Et cela nous fait honte à tous. Il faut que nous priions et demandions pardon pour cette attitude.

Nous avons espéré qu’il ne serait pas nécessaire de redire ces paroles au troisième millénaire, et pourtant l’humanité semble encore tâtonner dans les ténèbres : nous avons assisté aux massacres des conflits au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak ; à ceux du Tigré dans la région éthiopienne ; et des vents menaçants soufflent encore sur les steppes de l’Europe orientale, allumant les mèches et le feu des armes et glaçant le cœur des pauvres et des innocents ; eux, ils ne comptent pas. Et pendant ce temps, le drame du Liban perdure, laissant désormais de nombreuses personnes sans pain ; les jeunes et les adultes ont perdu espoir et quittent ces terres. Et pourtant, elles sont la mère-patrie des Eglises catholiques orientales : c’est là qu’elles se sont développées, conservant des traditions millénaires et beaucoup d’entre vous, parmi les membres du dicastère, en êtes les fils et les héritiers.

Votre quotidien est donc comme une pâte faite d’une part de la poudre d’or précieuse de votre passé et du témoignage de foi héroïque de beaucoup aujourd’hui, et de l’autre de la boue des malheurs dont nous sommes également responsables et de la souffrance provoquée par des forces extérieures. Ou encore, vous êtes des graines déposées sur les tiges et sur les branches des plantes séculaires, transportées par le vent jusqu’à des frontières impensables : depuis des décennies désormais, les catholiques orientaux habitent des continents lointains, ont sillonné les mers et les océans et traversé des plaines. Des éparchies sont déjà constituées au Canada, aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Europe et en Océanie et beaucoup d’autres sont confiées, au moins pour le moment, aux évêques latins qui coordonnent l’action pastorale par le biais de prêtres envoyés selon les procédures correctes des chefs respectifs de l’Eglise, patriarches, archevêques majeurs ou métropolites sui iuris.

C’est pourquoi vos travaux ont abordé la question de l’évangélisation, qui constitue l’identité de l’Eglise dans toutes ses parties, ou plutôt la vocation de tous les baptisés. Et pour la mission, nous devons nous mettre davantage à l’écoute de la richesse des différentes traditions. Je pense par exemple au parcours de catéchuménat pour les adultes, qui prévoit la célébration des sacrements de l’initiation chrétienne sous une forme unifiée : c’est une coutume qui, dans les Eglises orientales, est conservée et pratiquée également pour les enfants. Dans les deux parcours, on perçoit l’importance d’une sage catéchèse mystagogique, qui accompagne les baptisés de tous âges vers une appartenance mûre et joyeuse à la communauté chrétienne. Sur ce chemin, les différents ministères dans l’Eglise sont précieux, tout comme l’harmonie dans les relations avec les religieux et les religieuses qui œuvrent selon leur charisme propre, même dans vos contextes. Ces jours-ci, vous vous êtes penchés sur tous ces aspects.

Il y a une expérience dans laquelle l’ « argile » de notre humanité se laisse façonner, non pas par les opinions changeantes ou par les analyses sociologiques, si nécessaires soient-elles, mais par la Parole et par l’Esprit du Ressuscité. Cette expérience est la liturgie. Et cela nous rappelle aussi le chemin synodal, ou plutôt le parcours synodal. Le parcours synodal n’est pas un parlement, ce n’est pas un échange d’opinions différentes, suivi d’une synthèse ou d’un vote, non. Le parcours synodal est un chemin ensemble sous la conduite de l’Esprit-Saint et vous, dans vos Eglises, vous avez des synodes, des traditions synodales anciennes, et vous en êtes les témoins. L’Esprit est là, dans la synodalité, et lorqu’il n’y a pas l’Esprit, il n’y a qu’un parlement ou un sondage d’opinion, mais pas le synode. Cette expérience, disais-je, est le ciel sur la terre, et ceci est donné dans la liturgie, comme l’Orient, surtout, aime à le répéter. Mais la beauté des rites orientaux est bien loin de représenter une oasis d’évasion ou de conservation. L’assemblée liturgique se reconnaît telle, non parce qu’elle se convoque d’elle-même, mais parce qu’elle écoute la voix d’un Autre, restant tournée vers lui, et c’est précisément pour cela qu’elle ressent l’urgence d’aller vers ses frères et sœurs pour leur apporter l’annonce du Christ. Ces traditions qui gardent l’usage de l’iconostase, avec la porte royale, ou le voile qui cache le sanctuaire à certains moments du rite, nous enseignent que ces éléments architecturaux ou rituels ne transmettent pas l’idée de la distance de Dieu, mais au contraire exaltent le mystère de condescendance – syncatabasis – dans lequel le Verbe est venu et vient dans le monde.

Le Congrès liturgique pour les 25 ans de l’Instruction sur l’application des prescriptions liturgiques du Code des Canons des Eglises orientales est une opportunité pour se connaître au sein des commissions liturgiques des différentes Eglises sui iuris ; c’est une invitation à marcher avec le dicastère et ses consulteurs, selon la voie indiquée par le Concile œcuménique Vatican II. Sur ce chemin, cela fait beaucoup de bien que chaque composante de l’unique et symphonique Eglise catholique reste toujours à l’écoute des autres traditions, de leurs parcours de recherche et de réforme, tout en maintenant, chacune sa propre originalité. La fidélité à sa propre originalité est ce qui fait la richesse symphonique des Eglises orientales. On peut s’interroger, par exemple, sur la possibilité d’introduire des éditions de la liturgie dans les langues des pays où les fidèles se sont installés, mais sur la forme de la célébration, il est nécessaire de vivre l’unité selon ce qui est établi par les synodes et approuvé par le Siège apostolique, en évitant les particularismes liturgiques qui, en réalité, manifestent des divisions d’un autre style au sein des Eglises respectives. En outre, n’oublions pas que nos frères des Eglises orthodoxes et orthodoxes orientales nous regardent : même si nous ne pouvons pas nous asseoir à la même table eucharistique, toutefois, nous célébrons presque toujours et nous prions les mêmes textes liturgiques. Soyons donc attentifs aux expérimentations qui peuvent nuire au chemin vers l’unité visible de tous les disciples du Christ. Le monde a besoin du témoignage de la communion : si nous provoquons le scandale avec des disputes liturgiques – et malheureusement, il y en a eu plusieurs récemment – nous faisons le jeu de celui qui est le maître de la division.

Chers frères et sœurs, je vous remercie pour votre travail de ces jours-ci. Je vous suis toujours proche dans la prière. Apportez à vos fidèles mes encouragements et ma bénédiction. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat