L’Église orthodoxe russe a placé le développement de l’intelligence artificielle (IA) au cœur de ses préoccupations. Lors de la dernière session de son Synode suprême, le patriarche de Moscou a mis en garde contre la déshumanisation et la perte des valeurs fondamentales face aux progrès technologiques. Cela pourrait ouvrir la voie à l’ère de l’Antéchrist, a-t-il averti.
Discours intégral du patriarche Kirill
Aujourd’hui, nous abordons un sujet important, qui n’est peut-être pas étroitement lié à la théologie traditionnelle, mais qui est directement lié à la situation mondiale et aux menaces potentielles que cela représente pour les individus et leur vie spirituelle. Les conséquences de l’application des idées que nous aborderons aujourd’hui peuvent influencer considérablement la vision du monde, et c’est précisément une question à laquelle l’Église doit accorder une attention particulière.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur ce sujet. Nous allons analyser l’un des sujets les plus actuels de notre époque : les problèmes liés au développement de l’intelligence artificielle. Cette technologie en pleine évolution influence déjà divers aspects de la vie humaine et sociale et requiert donc une analyse réfléchie et responsable de la part de l’Église.
Tout d’abord, je tiens à souligner que l’Église orthodoxe russe n’a jamais rejeté le progrès scientifique et technique en tant que tel – c’est bien connu. Nous avons toujours observé avec intérêt et attention les véritables avancées de la pensée scientifique et avons cherché à proposer une évaluation morale des perspectives ouvertes par la recherche. La tradition ecclésiale n’est pas étrangère à la peur irrationnelle de l’avenir. Cependant, dans la société – non seulement la nôtre, mais partout dans le monde – les craintes, rationnelles ou non, de l’avenir grandissent. C’est pourquoi nous devons développer notre propre recherche théologique et formuler une position sur les problèmes qui préoccupent les hommes aujourd’hui et dont la résolution conditionne l’avenir de l’humanité. Il est souhaitable d’encourager les études scientifiques axées sur ce sujet et d’utiliser leurs résultats comme base de réflexion théologique.
Il est clair que l’intelligence artificielle aura, dans un avenir proche, un impact encore plus profond sur tous les domaines de la vie : l’économie, l’administration publique, l’éducation, la médecine, la culture et la vie quotidienne. Les experts s’accordent à dire que des transformations profondes se profilent à l’horizon. Cependant, nous sommes appelés à proclamer que ces changements ne doivent pas porter atteinte aux valeurs fondamentales de l’existence humaine. La foi, l’amour, la liberté, la responsabilité, les valeurs familiales : ce sont des piliers qui ne doivent être remplacés, et encore moins annulés, par aucune transformation technologique.
Serons-nous capables de protéger ces valeurs éternelles, données par Dieu, face à l’immense pression des influences contemporaines ? Face à une psychologie de masse qui, souvent fondée sur des idées scientifiques ou pseudo-scientifiques, transforme ces réalités en un mode de vie très dangereux, voire pécheur ?
Nous sommes particulièrement préoccupés par la potentielle déshumanisation de la communication interpersonnelle et sociale. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui choisissent de communiquer avec des machines plutôt qu’avec d’autres êtres humains. Et cela est compréhensible : l’utilisation de machines peut être plus efficace, certainement plus rapide, et parfois même plus significative, du point de vue du contenu, que l’interaction humaine. Par exemple, nous savons que certains utilisent l’intelligence artificielle comme s’il s’agissait d’un psychologue personnel, lui demandant conseils et avis. Mais il ne faut pas oublier que la nature humaine et la structure de la société reposent avant tout sur le lien entre les individus. Si ce lien est rompu, la société se dégrade, voire disparaît, car le mot « société » a la même racine que « communauté » et « communication ». Quel monde nous attend si les gens perdent la capacité de communiquer entre eux, et donc d’aimer, de pardonner et de sympathiser ?
Il s’agit déjà d’une question théologique, car avec la disparition de ces qualités et capacités, l’humanité franchirait un seuil au-delà duquel il ne serait plus possible de distinguer le bien du mal ; et cette perte de discernement marque précisément l’avènement de l’ère de l’Antéchrist. Comment l’Antéchrist, cette personnification du mal, pourrait-il venir ? Seulement si les hommes perdent la capacité de distinguer le bien du mal et commencent à accepter le malin comme un grand guide. C’est pourquoi, en tant que chrétiens, nous sommes appelés aujourd’hui à reconnaître le danger imminent et à formuler, dans le langage de la théologie et de l’Église, une réponse adéquate à ce défi.
Je tiens à le répéter : ce qui hier semblait illusoire et fantasque est devenu réalité aujourd’hui, partie intégrante de notre vie. Et l’Église, qui assume la responsabilité de l’état spirituel des êtres humains et de la société, est appelée à s’engager pleinement sur cette question et à offrir aux personnes des orientations justes, raisonnables et convaincantes sur la manière de vivre pour rester véritablement humaines dans les nouvelles conditions du monde contemporain.
On sait par ailleurs que Léon XIV prévoit une encyclique sur ce même sujet.
Pierre-Alain Depauw
Source : MPI