J’aurais assez d’entraînement pour courir Paris-Roubaix. Les chaussées du village, défoncées par des travaux de voierie interminables, présentent des suites de cavités qu’il faut passer en pédalant debout pour amortir les secousses, ou des séries de vagues à ondes courtes qui font trembler votre bécane et vous avec. Pour épicer votre parcours de vélo-cross, un camion aura benné gravier ou sable, obstruant la rue que vous pensiez prendre. Ailleurs des rétrecissements vous obligent à mettre pied à terre: une cisailleuse, une bétonneuse, un empilement de briques… C’est que partout on rebâtit ou on bâtit. Au point que l’emprise du village a plus que doublé depuis mon arrivée, mordant sur les terres agricoles inondables avant 1969. Les maisons ont au moins 10 mètres sur 20 en profondeur. Les unes, aux façades souvent luxueuses, reproduisent un schéma classique: les parents au rez-de-chaussée, les familles des fils aux étages. Les autres ont une allure d’immeubles englobant des appartements en location ou en vente, révélant une mutation sociologique: l’indépendance des couples par rapport à leur famille et, à terme, la fin du patriarcat.

Mon voisinage n’a pas échappé à ces bouleversements. Les photos jointes sont prises de ma terrasse. Le chantier est de l’autre côté de la rue: trois mètres nous séparent… J’ai pu suivre sur un mois les étapes de la construction. Et admiré le travail des équipes successives, chacun des ouvriers exécutant en silence des gestes précis comme dans un ballet. Ces spectacles me font philosopher. Qu’est-ce qui est à l’origine de ces activités ici et ailleurs où surgissent d’immenses villes nouvelles? Où est la source de cette vitalité? La réponse m’est donnée autour de midi, quand se croisent les flux de milliers de jeunes sortant ou entrant dans les écoles. Les enfants, ce sont eux les maîtres d’ouvrage!
Les poupons infléchissent l’économie de leur pays.

Frère Xavier Subtil
