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Archives Lasalliennes, document du mois: Oraison lasallienne.

Archives Lasalliennes, document du mois: Oraison lasallienne.

https://www.archives-lasalliennes.org/docsm/2024/2405_oraison.php

2024 a été consacrée par l’église année de la prière. Dans les coulisses du projet éducatif lasallien, se tient en toile de fond, une spiritualité, une vie intérieure coopérant avec la foi, charpentée par la pratique de l’oraison. Un type de prière qui chemine entre méditation et contemplation et dont une ouverture a marqué des générations d’élèves et d’éducateurs : « Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu »… suivi d’un temps de silence.

Écoles de spiritualité

Vous exercez un emploi qui vous met dans l’obligation de toucher les cœurs, vous ne pouvez le faire que par l’Esprit de Dieu : priez-le qu’il vous fasse aujourd’hui la même grâce qu’il a fait aux saints apôtres, et qu’après vous avoir remplis de son Esprit pour vous sanctifier, il vous le communique aussi pour procurer le salut des autres (Méditations  43/3).

Une telle relecture spirituelle de la pratique éducative a été celle de Jean-Baptiste de la Salle en son temps (XVIIe siècle).  Il n’a pas suivi le chemin de l’éducateur qui découvre la possibilité de vivre sa foi dans la pratique de son métier. Son itinéraire est celui d’un prêtre pétri d’une culture sacerdotale issue de la contre-réforme catholique, ouverte au renouveau catéchétique et scolaire, et de ce qui s’appellera bien plus tard, l’école française de spiritualité (Brémond,1920).

Cette école est un développement du courant de la Devotio moderna qui se diffuse en Europe durant les XVe et XVIe siècles et invite à l’intériorisation de la foi. Un mouvement de réforme fondamental qui veut dégager le christianisme de ses enlisements formalistes et institutionnels en l’ouvrant à la notion de projet spirituel individuel.

L’école française invite le croyant à communier à la personnalité du Christ en laissant agir l’Esprit dans des maturations lentes et progressives faites de recueillement intérieur et d’effacement de soi. Dans une lecture théologique de cette école, c’est l’Esprit qui est l’acteur de la prière conçue, non essentiellement comme un acte qui serait de pure volonté, mais comme appelé à être un état où deux libertés se rencontrent.

Abandonnez-vous tout à fait à la conduite de Jésus-Christ en le laissant régner sur tous vos mouvements intérieurs… que vous puissiez dire en effet que ce n’est plus vous qui vivez, mais que c’est Jésus-Christ qui vit en vous (Méditations pour les dimanches et fêtes 22/2).

Jean-Baptiste de La Salle et des Frères à Notre-Dame de Liesse

Durant ce « Grand Siècle des âmes » (Daniel Rops), fleurissent les écoles de prières et les méthodes d’oraison (faire oraison : demander, prier). De La Salle a été initié entre autre aux méthodes sulpiciennes avec Tronson et trouvera d’autres inspirations avec Beuvelet (Saint-Nicolas-du-Chardonnet).

Cet homme d’oraison, à la gravité et au sérieux forgés par des responsabilités familiales précoces, découvre, sans doute avec perplexité, un monde de l’éducation quelque peu chaotique et avec compassion, une jeunesse abandonnée. L’expérience humaine qui marque son approche spirituelle est aussi celle du renoncement : à une carrière, aux valeurs de son milieu, au confort d’une position surplombante. 

Une gravure de Ravelet
Exercices spirituels pour l'oraison
Un traité de l'oraison

Son analyse des événements qui s’enchaînent alors dans un itinéraire d’engagement social au service de l’éducation des enfants pauvres, s’opère dans un paysage intellectuel et sensible aux couleurs de l’histoire du salut et de l’Église.

C’est en pasteur d’âmes qu’il saisit le parcours éducatif comme un chemin qui mène au salut, conjuguant croissance et développement humain et spirituel. L’efficacité du parcours – si l’on peut dire – passe alors par la qualité d’une relation éducative ouverte au Dieu de l’évangile.
Ce style relationnel et éducatif singulier est autant un projet professionnel qu’un projet spirituel et un projet de vie. 

Les premiers Frères en expérimentent la pertinence, les modalités et les écueils dans un processus de relecture d’expérience et de discernement constant dans lequel prière et action se sollicitent l’une et l’autre.

Un livre d'”or”… et d’oraison

Les fruits de ces expériences permettent à de La Salle d’élaborer un ensemble éditorial – règle de vie, méthodes éducatives, projet pédagogique, directives spirituelles etc. –  dont la plupart des ouvrages essentiels pour « faire » communauté et « faire » école sont rédigés entre 1690 et les années 1705.

L’Explication de la Méthode d’Oraison (EM), viendrait achever ce parcours éditorial vers 1718 (Blain), un an avant la mort de son auteur. Des ébauches manuscrites de EM ont dû circuler et s’étoffer au gré des conférences et des enseignements de de la Salle auprès des Frères et des premiers novices.  Ce n’est qu’en 1739 qu’une première version probablement retravaillée en partie est imprimée et éditée. Les rééditions seront tardives (1816, 1853, 1890 etc.) pour un ouvrage qui reste fondamental dans son projet, plus utilisés par les cadres que par les novices qui abordent l’oraison par les petits traités.

On nomme l’oraison une occupation intérieure parce que l’âme s’y occupe de ce qui lui est propre en cette vie qui est de connaître Dieu et de l’aimer (Jn 17, 3 ; Lc 10, 27-28) et de prendre tous les moyens nécessaires pour parvenir à ces deux fins. Mais la principale occupation de l’âme dans l’oraison qui est véritablement intérieure est de se remplir de Dieu (Ep 3, 19) et de s’unir intérieurement à lui, ce qui est pour elle une espèce d’apprentissage et un avant-goût par une vive foi de ce qu’elle doit faire réellement pendant toute l’éternité. C’est pour ce sujet qu’on appelle cette oraison une application de l’âme à Dieu.

(EM 1/6)

Explication de la méthode d'oraison
La méthode d'oraison en résumé

EM ne se lit pas comme un récit spirituel : c’est bien une méthode, parfois aride, enchaînant des étapes, égrenant des subdivisions, signalant les carrefours, décomposant l’élan spirituel pour mieux en dérouler les difficultés et les dynamismes. Elle sert de guide tout autant aux « commençants » que de rappel aux « avancés ».

Cette méthode d’oraison est essentiellement apostolique, articulant le désir de Dieu et celui de s’associer à son œuvre de Salut : interaction éducative et interaction spirituelle se nourrissent l’une et l’autre comme le désir d’éduquer pour que l’autre advienne peut se nourrir du désir de Dieu, l’Autre de qui tout advient. La méthode décrit une prière qui se nourrit du labeur quotidien, relu et éclairé par la méditation des écritures, vivifié par l’exercice de postures plus contemplatives, ouvrant à des perspectives d’engagement renouvelées.

Esprit de foi et présence de Dieu

La singularité de cette méthode vient qu’elle introduit une spiritualité de la présence de Dieu dans le monde de l’éducation et dans l’expérience de la relation éducative.

  • La première chose, donc, qu’on doit faire dans l’oraison est de se pénétrer intérieurement de la présence de Dieu, ce qui se doit toujours faire par un sentiment de foi fondé sur un passage tiré de l’Écriture sainte. (EM 2/14)

Prendre conscience, dans le mouvement de la foi, de la présence de Dieu est considéré comme un soutien intérieur que l’éducateur veille à faire vivre par une prière personnelle et communautaire qui jalonne sa journée : temps de méditation, temps d’oraison plus passive, cantiques et prières vocales, prières avec les élèves, participation à la vie sacramentelle de l’Église.

Prière du maître avant la classe
Prière du maître avant la classe

De la Salle propose jusqu’à six façons de prendre conscience de la présence de Dieu, soit parce que Dieu est partout – dans la communauté ou la classe, soit parce qu’il est en chacun, maitre et élève, pour le faire subsister en l’habitant par sa grâce et son Esprit, soit parce qu’il est dans l’Église et les sacrements. L’éducateur lasallien est appelé à transmettre et partager cette vive conscience de la présence de Dieu à ses élèves par exemple par des invitations fréquentes lors des prières des heures ou des demi-heures : “Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu !”

Cette manière d’entrer dans la prière et d’y demeurer est particulièrement développée chez de La Salle. Cette insistance est illustrée par le sceau – le logo – de la communauté lasallienne avec l’étoile et la devise Signum Fidei (signe de la foi) : cette étoile qui a conduit la foi des rois mages à reconnaitre la présence de Dieu dans l’enfant nouveau-né de la crèche.

Contemplatif-actif

Cette forme de vigilance dans l’attention pourra s’effectuer, selon les possibilités de chacun, soit par quelques « réflexions multiples » ou « prolongées », ou par « simple attention » sans faire de réflexions.

  • L’application à la présence de Dieu par une simple attention consiste à être devant Dieu dans une simple vue intérieure de foi qu’il est présent, et à demeurer ainsi quelque temps, soit un demi quart d’heure, soit un quart d’heure, plus ou moins, selon qu’on s’y sentira occupé et attiré intérieurement. (EM 3/99)

Les écoles de prière articulent chacune volonté de l’homme et don de Dieu, activité et passivité, parole et silence, louange et ascèse etc. Elles associent, pour faire simple, méditation (à partir des écritures le plus souvent) qui aide à connaitre Dieu, et divers modes de contemplation qui aident à l’aimer. Comme une respiration toujours à reprendre et que l’oraison lasallienne tente de conserver, la prière chemine entre oraison mentale plus active et oraison d’union plus passive.

Il ne faut pas aller à l’oraison sans avoir quelques vertus à acquérir ou quelques vices à quitter… (instructions aux novices).

Sur la thématique des vertus, on évoquera divers modes de méditation/contemplation à partir des écritures ou de récits hagiographiques, en vue de leur acquisition par adhésion ou affection. Vertus offertes dont une déclinaison “professionnelle” est commentée dans le célèbre ouvrage du Frère Agathon : les douze vertus d’un bon maitre (1785) reprenant la liste établie par de La Salle dans son Recueil.

Les axes de la spiritualité lasallienne

Vous êtes tous les jours avec les pauvres, et vous êtes chargés, de la part de Dieu, de les revêtir de Jésus-Christ même et de son esprit : avez-vous eu soin auparavant que d’entreprendre un si saint ministère de vous en revêtir vous-mêmes, afin de leur pouvoir communiquer cette grâce ? (EM 189/1)

Le projet éducatif lasallien donne à l’éducation à l’intériorité une place qui sera centrale ou périphétrique selon les lectures de chaque époque. Le projet spirituel lasallien offre aux éducateurs et à leurs élèves un cheminement méthodique dont la progressivité vise… à s’affranchir de toute méthode et à apprivoiser cette manière d’être aux autres et au monde à laquelle nous invite l’évangile.

Son amour pour les pauvres a été extraordinaire : elle s’occupait tous les matins à instruire des enfants pauvres, et puis leur donnait à manger ; et comme elle honorait en eux Jésus Christ, elle se mettait à genoux pour les servir (…) Vous êtes, par votre état, chargés d’instruire les pauvres enfants. Avez-vous de l’amour pour eux ? Rendez-vous honneur à Jésus-Christ en leur personne ? Et dans cette vue, les préférez-vous à ceux qui ont quelque commodité ? Et avez-vous plus de considération pour ceux-là que pour ceux-ci ?

(Méditation pour sainte Marguerite d’Écosse – MF 133 3)

Bruno Mellet