Home InstitutDocument du mois: Il y a 50 ans : former les professeurs du technique (Source: Archives Lasalliennes.org)
Document du mois: Il y a 50 ans : former les professeurs du technique (Source: Archives Lasalliennes.org)

Document du mois: Il y a 50 ans : former les professeurs du technique (Source: Archives Lasalliennes.org)

https://www.archives-lasalliennes.org/docsm/2023/2311_cnfetp.php

Novembre 2023

La phase de croissance économique de la France des années 1945-1975 offre un nouvel âge d’or à l’enseignement technique dont le développement transforme en profondeur la vie de nombre d’établissements catholiques. Les contrats d’association (Loi Debré 1959) ouvrant à la titularisation des professeurs du technique, vont pousser à la création en 1972-1973 d’un organisme de formation permanente propre à l’enseignement privé : le C.N.F.E.T.P..
Récit d’une mutualisation pédagogique régionale puis nationale dévouée à l’éducation populaire.

Un enseignement technique privé

L’histoire de l’enseignement technique rassemble des initiatives locales liées à des bassins d’emploi, portées par des industriels, des chambres de commerce, des prêtres diocésains, des congrégations religieuses masculines et féminines. Ces « porteurs de projet » tentent de répondre aux besoins des employeurs et des familles en développant des parcours de formation le plus souvent basés sur l’apprentissage, associant les apports théoriques adaptés permettant une entrée rapide sur le marché du travail. 

Atelier bois

La première structure législative de l’enseignement technique prend forme sur la période 1919 (loi Astier) à 1958 : création du C.A.P., de la taxe d’apprentissage et des chambres des métiers (1925), du brevet professionnel (1926), des centres d’apprentissage (1939 puis 1949), du brevet de technicien (1952). Ce premier âge d’or de l’enseignement technique pose les bases de son encadrement pédagogique avec la création des Écoles Normales Nationales d’Apprentissage (E.N.N.A., 1945) et des écoles d’ingénieurs (E.N.S.I., 1947). L’enseignement privé, qui structure sa première coordination en fondant l’U.N.E.T.P. en 1934, trouvera nombre de ses cadres dans les effectifs de l’I.C.A.M. Lille (1898) et du futur E.C.A.M. Lyon (Reims, 1899). Durant cette période, prend corps un ordre d’enseignement à la personnalité spécifique et indépendante.

Un atelier forge

On assiste alors à une éclosion de sections techniques adossées à des écoles primaires supérieures ou au sein des écoles secondaires centrées sur les métiers de base de l’industrie et de l’artisanat : mécanique, électricité, menuiserie, mais aussi secrétariat et comptabilité. Au gré des supérieurs, de jeunes religieux sont orientés vers des formations techniques poussées (ingénieurs) ou orientés vers des formations alternant stages en entreprise et enseignement. La formation continuée s’effectue sur le tas ou lors de stages de vacances organisés dans les établissements les mieux pourvus en équipement. Les compétences de chefs de travaux et de professeurs d’atelier se précisent – moins fondées sur les connaissances théoriques et les diplômes que sur les qualités relationnelles et la maitrise technique. C’est souvent l’obédience du supérieur qui crée le poste et le contrat de travail exige au mieux un dépôt de dossier au rectorat. On attend du formateur qu’il obtienne de bons résultats au C.A.P. ou au B.E.P.

Atelier de mécanique

La réforme Berthoin de janvier 1959 marque l’engagement de l’enseignement technique dans un processus d’intégration croissante avec le système éducatif général et de scolarisation des apprentissages (scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans) – évolution d’ailleurs remise en cause périodiquement à chaque fin de cycle économique (relance de l’apprentissage) : nouvelles dénominations (C.E.T. et Lycée Technique en 1960, C.F.A. en 1961, L.E.P. en 1976),  réformes des diplômes (B.T.S. en 1962, Baccalauréat technique en 1965, B.E.P. en 1966), déploiement de parcours adaptés courts ou longs (C.E.P. en 1970, C.P.P.N. et C.P.A. en 1972)…  Au rythme soutenu des réformes qui s’enchainent (réforme Fouchet 1963-1966, Loi Haby 1975 etc.) s’associent les exigences croissantes en matière de formation des enseignants (mise en place du C.A.P.E.T. en 1959) dont les statuts se rapprochent peu à peu de celui de leurs homologues des cycles généraux (alignement progressif sur le C.A.P.E.S. dans les années 1980).

Atelier de tissage

Former des formateurs

Un tract du CNFETP

C’est dans ce contexte de professionnalisation croissante, que l’enseignement privé doit en outre opérer une mutation supplémentaire en s’inscrivant dans le processus des contrats d’association avec l’État lancé par la loi Debré fin 1959 et dont les décrets d’application (1961 à 1962) s’enchainent ensuite. Ces derniers mettent en place les procédures de titularisation des enseignants sous contrat : au concours pour la partie théorique s’ensuit dans les deux ans qui suivent une inspection pédagogique qui valide le C.A.P.E.T. ou le C.A.E.L.E.P.. Le succès au concours offre le choix entre rejoindre le secteur public avec la possibilité de préparer l’inspection en suivant une formation rémunérée en E.N.N.A. ou demeurer dans le secteur privé avec des formations sur le tas aux résultats incertains. La différence de traitement entre maitres auxiliaires et titulaires est conséquente. La crainte de voir nombre de formateurs échouer à l’inspection et/ou quitter l’enseignement catholique se confirme assez rapidement : l’enseignement privé manque de structures de formation compétitives.

Depuis déjà quelques années des initiatives régionales profitent des vacances estivales et des retraites de congrégation pour rassembler Chefs d’établissement, Chefs de travaux et professeurs d’atelier et partager sur les problématiques de recrutement, de formation ou d’achat de matériel. La figure de précurseur de l’abbé Victor Chopot au service de l’enseignement technique en Vendée d’abord puis au niveau national est à citer tout particulièrement. C’est de ces bases locales qui interagissent entre elles que vont fleurir sur la période 1960-1972 nombre de structures associatives destinées à promouvoir la formation des enseignants du technique privé sous l’œil plus ou moins bienveillant des instances nationales parisiennes UNETP et SGEC qui redoutent les débordements congréganistes et « régionalistes ».

Avec réserve, ces instances approuvent toutefois la création, en novembre 1967, d’une association des chefs de travaux qui baptise son C.A. du sigle CTPN (comité technique pédagogique national), vivier de formateurs expérimentés, souvent religieux et anciens ECAM ou ICAM. Cet organisme contribue fortement à ce qui va se mettre en place par la suite.

Le Frère Claude (Albert) Lapied (1919-2017), alors touché par ces problématiques de recrutement comme chef d’établissement à Reims, rejoint une commission formation nationale en 1968. À Dijon, en octobre 1969, il provoque une réunion de périmètre régional qui aboutit à l’élection du Frère Jean-Claude Mauvilly (1929-2010, ECAM 1953), alors chef de travaux à Saint-Joseph de Dijon, comme inspecteur itinérant pour la zone Est.
Le premier poste de Conseiller Régional Pédagogique (CRP) est créé. Son cadre administratif et financier est fixé par une association régionale puis nationale avec la fondation de l’AFPETP début 1970.

Trois Frères promoteurs de la pédagogie
Les instances de formation

Vont suivre la nomination progressive entre 1970 et 1972 de 4 autres CRP :

  • Frère Joseph Bennes (1921-2016, ECAM 1953 – région Sud-Ouest),
  • Frère Marcel Cornec (F.I.C., ECAM – région Ouest),
  • Jean Viart (ECAM, région Sud-Est) de Sainte-Barbe (Saint-Étienne) 
  • et l’abbé Paul Hollebeque (ICAM) pour la région Nord. 

Ces cinq animateurs apprennent à œuvrer ensemble en organisant des stages nationaux en 1971 et 1972. Ce réseau de formateurs s’étoffe, densifiant l’offre de suivi au niveau locale et par filière de spécialités. Les résultats sont là et l’idée de créer un centre de formation national mutualisant plus efficacement les ressources prend corps.

On retrouve le Frère Claude, qui a quitté Reims, au siège du SGEC et de l’UNETP en 1971 où il porte ce projet d’école normale du technique. Tandis que les structures de financement de la formation continue se mettent en place (UNAPEC), la commission qui étudie le projet au sein de l’UNETP s’oriente vers une formule de formation pédagogique des professeurs du technique par alternance. Diverses localisations sont étudiées et la commission s’oriente finalement – sur la proposition du Frère René Bonnetain (1920-1997) directeur de l’ECAM – sur les bâtiments mis à disposition de l’ECAM par la Fondation Providence-Caille sur la colline de Fourvière à Lyon : le panorama qu’offre le site fait l’unanimité ! 

Vue de Fourvière sur Lyon

Le CNFETP ouvre en septembre 1972 et il est finalement inauguré sous le parrainage de l’UNETP le 7 avril 1973. Le Frère Claude en est le premier directeur en charge de créer la structure qu’il marque de sa personnalité en sachant animer un réseau amical de formateurs et de stagiaires et créer une ambiance familiale dans des locaux modestes qui se prêtent à des séjours de formation conviviaux. 

Des cycles de titularisation se mettent en place, alternant stages pédagogiques en école, stages techniques épaulés par le CTPN, et semaines en centre avec de solides apports psychopédagogiques encadrés par les formateurs du CEPEC lyonnais (pédagogie par objectifs dans les années 1975). En moins de dix ans, le centre accueille annuellement quelques 900 stagiaires et inspire par son mode de fonctionnement d’autres structures qui se créent ici et là.

Théorie et pratique
Formation en cuisine

Dans le sillage du CNFETP vont se créer d’autres associations regroupant les formateurs pour l’enseignement économique ainsi que des directeurs d’études de l’enseignement technique, alimentant un vivier d’une centaine d’animateurs de stage dont les profils se professionnalisent peu à peu.

Le siège lyonnais du CNFETP, qui coordonne désormais deux autres antennes à Nantes et à Lille, a quitté la colline de Fourvière pour celle de la Croix-Rousse au cours des années 2010.

L’enseignement technique privé, cet « enfant terrible de l’enseignement catholique », poursuit son développement depuis lors au carrefour d’un monde économique en mutation permanente et d’un monde scolaire en réforme continue… Les organismes de formation permanentes – qui se sont diversifiés et décentralisés – constituent toujours ces espaces de rencontre et de dialogue où les projets éducatifs peuvent prendre chair.

Bruno Mellet