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Pastorales pour la vocation de Frère

Pastorales pour la vocation de Frère

Archives lasalliennes

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Vivre en réponse à l’appel évangélique à la fraternité constitue le dynamisme que recouvre le terme de vocation au sens chrétien. Dans le vaste paysage des vocations et modes de vie évangélique, celle de Frère des Écoles chrétiennes a pris corps au XVIIe siècle pour se développer et s’institutionnaliser par la suite. Éducateurs et donc accompagnateurs de vocation, les Frères ont utilisé les moyens de leur temps pour également se faire connaitre et inviter à les rejoindre.

À la suite du Christ


Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? ». Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : “ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère” ». L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. ».   (Mc 10, 17-21)


La vie religieuse est classiquement définie comme

  • un chemin de vie à la suite du Christ, pauvre, chaste et obéissant à son Père. Un état de vie que structure la pratique de ces trois conseils évangéliques – qui s’adressent à tous – vécus spécifiquement dans le célibat, en communauté, sous l’autorité d’une règle de vie approuvée par l’église ;
  • un engagement à vivre son baptême à la manière ébauchée par le fondateur d’une communauté de vie réunie autour d’un projet porteur de croissance humaine et spirituelle. Une vie consacrée par Dieu pour le Monde selon l’expression conciliaire.

Une théologie, à l’enracinement médiéval et qui court sur la période étudiée présentement, en parle comme d’un état de perfection un état auquel tout baptisé, de fait, est appelé. Il faut attendre le concile Vatican II (1965) pour que la vie religieuse – après une période d’affadissement et d’uniformisation – redéploye les dynamismes des commencements dans un nouvel horizon enrichi de multiples formes d’engagements de foi.

Les premiers contacts avec un projet de vie religieuse s’effectuent par des rencontres et des médias divers souvent relayés par des personnes chargées de ce que l’on appelle aujourd’hui la pastorale des vocations, appelées longtemps « recruteurs » – terme ayant perdu son contexte de convenance de nos jours.

Le jeune homme riche
Objectif: s'enrichir

Pour le candidat d’hier et d’aujourd’hui, appelé à discerner le bien-fondé d’une vocation, les étapes menant à l’émission des premiers vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, passent toujours par

  • un temps de postulat (temps d’observation)
  • et un temps de noviciat (temps d’intégration).

Ce sont des périodes où le postulant, puis le novice, fait l’apprentissage d’une vie spirituelle unissant œuvre apostolique et vie communautaire. Une unité de vie toujours à construire, avec le soutien d’une règle de vie commune et de personnes référentes, soit instituées, comme les maitres des novices ou les directeurs de communauté, soit électives par affinité.

À la manière des premiers Frères des Écoles chrétiennes

C’est dans ce processus de discernement continu que, peu à peu, l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes prend forme et visage avec de La Salle et les premiers Frères, dans le courant des années 1680 : celui d’un Institut de religieux exclusivement laïc et voué à l’enseignement chrétien. Les premiers candidats à la vie de Frère se présentent aux premières communautés d’école avec leur désir de sanctification personnelle dans l’exercice d’un apostolat éducatif. Leurs origines géographiques et sociales sont rarement éloignées de celles de leurs élèves. Les premiers Frères ont été orientés vers ces communautés naissantes par des réseaux ecclésiaux denses traversés par la dynamique de la réforme catholique et le souci de l’évangélisation de la jeunesse. Les conditions et les étapes menant à un premier engagement lui-même très ouvert, sont mouvantes et souples : le noviciat est réduit, un temps, à quelques mois, et les vœux explicites à celui de tenir les écoles gratuites “ensemble et par association”. Le profil du candidat se fixe au gré de la structuration de l’Institut qui se poursuit depuis la mort du Fondateur jusqu’aux années 1960, en réponses aux évolutions de la société et de l’église.

  • L’âge minimum d’entrée au noviciat se stabilise à la tranche 16-17 ans, celui des premiers vœux à 18-19 ans, celui d’un éventuel engagement définitif à partir de 25 ans.
  • Le statut votal reste fort souple – engagement triennal, pas d’obligation de vœux perpétuels et parfois même de vœux – jusqu’à la réforme du Code de droit canonique de 1917 : son application au Chapitre de 1923, aboutit à la suppression du statut de novice employé (sans vœux) et met fin à la distinction entre Frères d’écoles et Frères servants.
  • L’engagement s’exprime sous forme de vœux d’association pour tenir les écoles gratuites, de stabilité et d’obéissance – complétés par ceux de pauvreté et de chasteté.
  • Le candidat doit fournir les actes de catholicité de base, une attestation de son curé et avoir le consentement des parents en deçà de 21 ans.
  • Les postulants doivent être de bonne constitution physique, morale et intellectuelle, « une bonne aptitude aux sciences et beaucoup de disposition à la piété et à procurer la gloire de Dieu par l’éducation chrétienne de la jeunesse » (Règles de 1777).
  • La durée du postulat varie de quelques mois à un an, selon les situations.
  • La durée du noviciat est au minimum d’une année après la prise d’habit – il durera parfois deux années en incluant une année d’école.
  • Le jeune Frère poursuit son cheminement vers l’engagement définitif avec un temps de formation pédagogique et catéchétique complémentaire (scolasticat) lui permettant d’exercer son apostolat éducatif et de passer… au feu d’une vie donnée.
Un Frère recruteur
La revue Moissons
Petits novices et Novices

Pasteurs de vocations


C’était dans les montagnes du Rouergue vers 1880. Notre Frère recruteur, à qui la marche était trop pénible, parcourait la contrée sur un cheval au pied sûr. Et voici qu’un samedi soir en allant visiter les familles de Saint-Izaire, il croise sur la route un paysan et son fils de 14 ans. Le garçon regarde curieusement le cavalier : « Qui est-ce papa ? demande-t-il. – C’est un Frère des Écoles chrétiennes (un instituteur chrétien). Ces Frères font la classe et enseignent le catéchisme. »

Et les yeux du jeune Rouergat se fixèrent davantage encore sur le rabat blanc. Quand il eut disparu : « Je voudrais être comme lui, déclara le garçon. – Eh bien, répondit le père, nous irons le trouver demain après la messe. »

(Notice nécrologique 1947, n°212, p. 271)


Ces récits de vocation, mille fois entendus, évoquent moins l’apparition surnaturelle d’un médiateur céleste, qu’une question – que faire de sa vie ? –  qui surgit d’une réponse possible, suffisamment chargée de sens, et ce, sur une terre chrétienne qui sait cultiver la générosité. Dès lors que l’œuvre éducative se développe, l’Institut doit faire connaître sa vocation et recruter. Si bon nombre des postulants sont anciens élèves des Frères, il faut élargir le contact auprès de ceux qui ne les connaissent pas : la figure du Frère recruteur prend forme rapidement dès le XVIIIe siècle et celui-ci devient un personnage clé car le nombre d’entrées au noviciat est l’objet de préoccupations constantes. D’autant que le taux de persévérance oscille autour de 40 % selon les régions et les duretés des conditions de vie.

Les besoins en effectif deviennent tels devant l’afflux des demandes d’ouverture d’écoles, courant XIXe siècle, que les contrats avec les communes obligent celles-ci à subventionner les noviciats. La recherche de financements débouche également sur la fondation de l’Œuvre des Vocations qui prendra diverses appellations entre 1836 et les années 1960. Il s’agit entre autres de financer les petits noviciats (écoles apostoliques, écoles de noviciat) qui se mettent en place, après divers essais, à partir de 1876 et accueillent des jeunes à partir de 12 ans. Ils prendront le nom de juvénats entre 1940 et 1970. Ces écoles sont des espaces de discernement par l’apprentissage d’une vie commune et spirituelle plus poussée.

Une revue vocationnelle

C’est dans un contexte chrétien et souvent rural qu’œuvre le Frère Recruteur, devenu Directeur de l’œuvre des Vocations (DOV) puis Délégué aux Vocations (DAV) sur la décennie 1958-1968. Il se fait connaître des équipes paroissiales, passe dans les écoles pour des animations, anime lui-même des mouvements de jeunesse (patronages, Action catholique) ou des groupes de persévérance, entretient des relations avec des amicales d’anciens élèves et avec les familles, garde contact avec les jeunes qu’il a conduits à cheminer avec les Frères en maintenant un lien fort avec les juvénats et petits noviciats.

La période « dure » de la sécularisation (1904-1920) entraine une perte de visibilité des Frères dans un contexte social devenu moins réceptif : le Frère recruteur doit s’appuyer sur divers médias (images, brochures, films etc.) pour exposer une vocation dont il faut manifester la pertinence à la lumière d’un référentiel culturel en mutation.

► Le Frère Jean Sicart (1869-1934), recruteur depuis 1910, fonde la revue Étoile de la vocation en 1924. Celle-ci poursuit sa publication sous les titres Étoile de la jeunesse puis Étoile, jusqu’en 1968, atteignant un tirage de 30 000 exemplaires à diffusion nationale entre les deux guerres. 

► Le Frère Isidore Simonneaux (1869-1946) écrit à la même période une vingtaine d’ouvrages sur la vocation de Frère sous le pseudonyme de  I. de Cicé.

► Autre Frère recruteur, Casimir Chaussumier (1861-1938) publie L’Ami des enfants chrétiens entre 1914 et 1938. À diffusion locale, elle tire à 2 000 exemplaires et aura touché environ 15 000 lecteurs en vingt ans, entretenant, à travers la dévotion à l’eucharistie, un lien fraternel entre “tonton Casimir” et “ses petits amis”, autour de la vocation de frère ou de prêtre.

Chaque district développe ses propres publications vocationnelles comme

  • La journée de la vocation (Monaco, 1942-1966),
  • Vers les cimes (Nantes, 1947-1962),
  • Moissons (Quimper, 1947-1954), etc.

Après-guerre, la génération des Frères ayant connu l’imposant Institut d’avant 1904 passe la main à la génération suivante. Celle-ci va devoir s’adapter en permanence à de nouveaux modes de communication et d’accompagnement, et ce, jusqu’à nos jours : il va s’agir de plus en plus d’individualiser, d’aider de façon globale à l’orientation, de promouvoir le sens général d’une vie religieuse.

L’Institut connaîtra une forte croissance des effectifs de Frères tout au long du XIXe siècle, la loi de juillet 1904 lui donnant un coup d’arrêt momentané en France. La croissance reprend entre les deux guerres et se poursuivra jusqu’aux années 1960, suivant la même évolution générale que la société et l’église.

La vocation religieuse interroge la liberté de choix et le sens à donner à sa vie. Questions essentielles que porte par nature, la pastorale des vocations.

Bruno Mellet