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Intelligence artificielle : ne démissionnons pas de nos cerveaux !

Intelligence artificielle : ne démissionnons pas de nos cerveaux !

https://fr.aleteia.org/2025/06/30/intelligence-artificielle-ne-demissionnons-pas-de-nos-cerveaux

Blanche Streb

publié le 30/06/25

Une étude américaine révèle que l’utilisation de ChatGPT endort la moitié du cerveau. S’il veut rester humain et libre, l’utilisateur de l’intelligence artificielle doit être intelligent avec elle, prévient l’essayiste Blanche Streb.

L’intelligence artificielle (IA) et les fameux « agents conversationnels » tels ChatGPT ont envahi nos vies. Les services inédits qu’offrent ces nouveaux outils semblent quasiment infinis. Ils apportent un gain de temps considérable, réalisent à la vitesse de l’éclair des tâches multiples. Opportunités, dangers, fascination, effroi ? Une certitude : leur usage pose à l’humanité de nouveaux et d’immenses défis. Les jeunes l’utilisent de plus en plus pour leurs dissertations, leurs recherches diverses, parfois même pour des choses simples, basiques, comme écrire une lettre ou demander « comment répondre à ce SMS »… Est-ce anodin de grandir avec ces béquilles virtuelles ? Quels peuvent être leurs impacts sur nos cerveaux, en particulier sur des cerveaux en construction ?

55% de l’activité du cerveau en moins

Des chercheurs américains se sont penchés sur cette question absolument fondamentale, pour tenter d’en quantifier les effets neurologiques. Une étude menée par le MIT, indique le Figaro du 24 juin, a consisté à comparer trois groupes de jeunes adultes. Ceux du premier groupe travaillaient seuls, sans aucune assistance. Le second avait accès à l’Internet, avec un moteur de recherche classique. Et le troisième groupe utilisait ChatGPT-40. L’activité de 32 zones du cerveau de ces cobayes a été observée en temps réel. Même s’ils doivent encore être validés par des experts, les résultats sont édifiants : utiliser l’IA entraînerait une baisse considérable de la créativité et de l’activité du cerveau. Au bout de quatre mois, on relève dans le groupe ChatGPT une baisse moyenne de 55% de l’activité du cerveau, particulièrement dans les zones associées à l’attention, à la mémoire et à la résolution de problèmes. Comparativement, on a vu chez ceux qui n’utilisaient qu’un moteur de recherche que leur cortex visuel travaillait encore, car ils devaient analyser et hiérarchiser les informations reçues. Le groupe autonome, lui, continuait à mobiliser de larges réseaux liés à la mémoire, à la créativité et à l’autocontrôle.

La machine ne pense pas

Il semble bien que soit démontré là ce que l’observation et le bon sens nous disaient depuis longtemps : les gains de l’usage de l’IA ne vont pas sans pertes et fracas. 83% des utilisateurs de ChatGPT se sont révélés incapables de se souvenir d’un seul passage de leur rédaction. Le temps gagné à utiliser l’IA peut se retourner contre son utilisateur, car il devient en réalité une perte de temps, du point de vue de l’acquisition des connaissances et des raisonnements. Les auteurs de l’étude parlent d’un « délestage cognitif ». Car en déléguant à l’outil certaines taches mentales, l’utilisateur ne s’approprie pas le contenu. Si on sait où (re)trouver l’info, à quoi bon la mémoriser ? Le cerveau est paresseux, ne l’oublions pas ! Il préférera scroller ou somnoler devant une série… C’est pour cela que le génie humain n’en est que plus étonnant et merveilleux ! Relié à notre volonté, à nos désirs profonds, à nos talents, à notre persévérance, à notre courage créatif, l’homme est capable de prodiges depuis la nuit des temps… C’est d’ailleurs bien par ce génie humain que ces outils extraordinaires ont été créés.

La machine ne pense pas, elle calcule. La machine ne ressent pas, elle mouline. La machine n’a pas de conscience ni de sens moral, elle compile des datas.

Il ne faut jamais oublier que l’agent conversationnel n’est pas un « autre » être humain. Il faut le voir comme un outil, et non comme une altérité. La machine ne pense pas, elle calcule. La machine ne ressent pas, elle mouline. La machine n’a pas de conscience ni de sens moral, elle compile des datas. La machine n’a pas de corps vivant, même si elle consomme une énergie folle. Son « intelligence » n’est reliée à aucun sens. La machine n’a pas d’empathie, elle a des réponses codées. La machine n’a pas de père, de mère, de grand-père, de transmission transgénérationnelle. La machine n’a pas de souvenirs, elle a des données stockées.

L’intelligence artificielle, a rappelé Léon XIV, est « sans comparaison possible avec celle de l’homme et de la femme, qui est au contraire créative, dynamique, générative, capable d’unir passé, présent et avenir dans une recherche vivante et féconde de sens, avec toutes les implications éthiques et existentielles qui en découlent » (Discours au Jubilé des pouvoirs publics, 21/06/2025, en référence au discours à la session du G7 sur l’intelligence artificielle). La machine ne décide pas en son for intérieur, en son âme et conscience, elle choisit. La machine ne travaille pas ses vertus, elle devient plus performante. La machine n’a pas d’âme. Pas d’amour…

La machine n’a pas de courage

Gardons-nous de projeter sur ces prodigieux outils des capacités proprement humaines. L’intelligence humaine, elle, est plurielle grâce à ses dimensions uniques : relationnelle, émotionnelle, sensorielle, mémorielle, elle possède l’intelligence des situations, elle est capable de s’adapter et de prendre des décisions qui « sortiront » des clous, au nom d’un plus grand bien, d’une intuition. Prenons l’exemple du fameux pilote de ligne, Chesley Sullenberger, magnifiquement joué par Tom Hanks dans Sully, un film qui relate cet « accident » d’avion hors du commun. Le chevronné pilote n’a pas écouté l’appareil qui lui commandait de faire demi-tour, quand ses moteurs ont explosé. Il a analysé, en quelques secondes qu’il valait mieux amerrir sur le fleuve Hudson. Sa réaction, jugée irresponsable pendant un temps par les enquêteurs, est finalement apparue comme ayant été la seule chance de ne pas se crasher sur la ville de New York. Le héros, malgré la peur, n’a ce jour-là écouté que son courage, selon l’expression consacrée, et il a sauvé l’ensemble de l’équipage et des passagers. Courage vient du mot cœur, centre de notre personne, siège de nos sentiments et de nos intentions, là où dialoguent intelligence et volonté. Ce cœur enraciné dans notre nature humaine, dans notre histoire, et dans tout ce qui nous façonne.

Les agents conversationnels ne sont pas infaillibles, ils peuvent se tromper, voire raconter n’importe quoi. Ne prenons jamais leurs réponses comme argent comptant. Même le PDG d’OpenAI, Sam Altman, s’étonne que les gens fassent tellement confiance à ChatGPT, « car l’IA peut inventer des choses. En réalité, c’est une technologie à laquelle on ne devrait pas faire une confiance aveugle ». Aux participants de la deuxième conférence annuelle de Rome sur l’Intelligence artificielle, le 19 juin dernier, le pape Léon XIV a pointé du doigt « les possibles répercussions de l’IA sur l’ouverture de l’humanité à la vérité et à la beauté, sur notre capacité particulière à saisir et à interpréter la réalité ».

Être intelligent avec l’IA

Moralité : ne démissionnons pas de nos cerveaux ! Protégeons ces biens immatériels si précieux, que sont la mémoire, la créativité, la capacité d’analyse et l’esprit critique. Les outils numériques ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Ce qu’il faut, c’est nous aider, individuellement et collectivement, à « garder la main ». Même si ChatGPT ne rend pas plus intelligent, il peut être utilisé de manière intelligente. Pour cela, il faut devenir « intelligent » dans nos manières de nous servir de tout ce qui est mis à notre disposition. C’est impératif. Y compris pour des questions écologiques, rarement évoquées.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, une requête sur ChatGPT consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google. Des estimations donnent pour chaque requête à ChatGPT la consommation d’un demi-litre d’eau. Même si je trouve insupportable que la SNCF me signale à chacun de mes voyages, Dieu sait s’ils sont fréquents, qu’ »avec le train j’ai choisi le moyen le plus écologique, blablabla… », je trouverais normal et bien que nous puissions recevoir une vraie information sur l’impact réel de nos diverses consommations numériques. Les jeunes y seront sensibles. Ils sont les premiers que nous devons aider, former, peut-être même pour beaucoup d’entre eux déjà : que nous devons sauver.

Reprendre sa liberté

Un jeune essayiste émerge sur ces questions, Aleteia l’a rencontré. Il s’agit de Baptiste Detombe, auteur de l’Homme démantelé (Artège). Le jeune homme se veut le porte-parole de la première génération dévorée par l’ogre numérique. « Une génération démantelée, mutilée de souvenirs communs, d’expériences passées, de liens sociaux forts et robustes, d’une certaine intériorité, d’un rapport aisé à l’altérité. » Il parle de « la mort des réseaux soucieux d’autrui » et de la perte de l’émerveillement. Je conseille vivement cette lecture dynamisante pour cet été. Un autre monde, écrit-il, reste possible. Baptiste nous invite à être des rocs dans l’océan virtuel, arrimés à cette parole de saint Paul : « Tout m’est permis, mais je ne me laisserai, moi, dominer pas rien. » Il me semble que s’emparer de ce sujet, ce n’est pas se condamner à déprimer, c’est un moyen de reprendre sa liberté en main. Il nous faut un sursaut politique et surtout, humain.