Mathilde de Robien – publié le 09/12/25
À partir de ce mercredi 10 décembre, les Australiens de moins de 16 ans ne pourront plus ouvrir ni posséder de comptes sur les réseaux sociaux. D’autres pays vont-ils suivre ? La mesure est-elle applicable techniquement ? Une première mondiale scrutée par bon nombre de gouvernements qui souhaitent également légiférer en la matière.
L’Australie va-t-elle ouvrir le bal ? Ou bien l’interdiction des réseaux aux adolescents demeurera-t-elle à jamais un vœu pieux ? Ce 10 décembre marque l’entrée en vigueur, en Australie, d’une loi interdisant aux moins de 16 ans l’accès aux plateformes telles que TikTok, Instagram, Snapchat, Facebook, Threads, X, Reddit, YouTube ou encore Kick et Twitch. Une mesure forte, scrutée par bon nombre de gouvernements qui souhaitent également légiférer en la matière et par de nombreux experts plus ou moins sceptiques sur les modalités de son application.
Le Parlement australien a voté le 28 novembre 2024 une loi interdisant l’accès aux réseaux sociaux avant l’âge de 16 ans afin de préserver les jeunes des dérives telles que le cyberharcèlement ou l’exposition à des contenus inappropriés ou mettant en danger leur santé physique ou mentale. Un texte qui a largement rassemblé les différents partis, démontrant ainsi un relatif consensus sur les ravages des réseaux. En cas de non-respect de la loi, les sanctions financières pourront aller jusqu’à 50 millions de dollars australiens (30,7 millions d’euros) pour les plateformes. Ces dernières sont ainsi tenues de prendre des « mesures raisonnables » pour s’assurer que les jeunes Australiens ne puissent pas créer de comptes et que les comptes existants soient désactivés ou supprimés, y compris ceux bénéficiant d’un accord parental.
« C’est un bon premier pas, qui a le mérite d’exposer un principe clair », se réjouit Agnès Fabre, fondatrice de l’association Éducation numérique raisonnée, « mais on peut légitimement s’interroger sur son application concrète : quels moyens vont être utilisés par les plateformes pour vérifier réellement l’âge des utilisateurs ? »
Des mesures « raisonnables »
Sur ce point, les plateformes demeurent évasives. Elles sont seulement sommées de prendre des mesures « raisonnables » pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. Une formule qui reste subjective ! Peu de détails ont filtré sur les modalités techniques envisagées. C’est pourquoi certains experts craignent que la loi reste symbolique. Car si les méthodes de vérification de l’âge sont techniquement possibles, aucune n’apparaît comme parfaitement infaillible. La meilleure preuve est l’échec de la vérification de l’âge des moins de 13 ans : bien que les plateformes interdisent théoriquement l’ouverture d’un compte aux moins de 13 ans, 62% des enfants de 11 ans s’y connectent tous les jours, selon une récente étude de l’Arcom.
Les experts évoquent ainsi les possibilités de contourner l’interdiction en ayant recours aux adresses e-mail ou aux papiers d’identité d’un parent, ou encore à un VPN (un réseau privé virtuel permettant de se connecter à Internet en privé). D’autres moyens consistent à vérifier l’âge de l’utilisateur en fonction de son activité en ligne (via l’intelligence artificielle) ou encore à utiliser la technologie d’évaluation faciale. Une pratique déjà mise en place par Meta et Snapchat pour identifier les utilisateurs de moins de 15 ans et qui s’avère inefficace. Ce témoignage recueilli par l’Arcom est éloquent : « Maman, fais une photo pour voir comment tu vas vieillir », a demandé une jeune fille de 14 ans pour prendre une photo de sa mère et accéder ainsi à une plateforme en ligne.
Vers une interdiction aux moins de 15 ans en France et en Europe ?
« Ce qu’il y a néanmoins de positif avec cette loi australienne, c’est qu’elle montre que les politiques peuvent s’emparer du sujet. Et on voit que les pays s’observent les uns les autres », constate Agnès Fabre. En effet, la démarche australienne intéresse bien au-delà de ses frontières, notamment du côté de l’Union européenne. Le 26 novembre dernier, les députés européens ont adopté à une large majorité un rapport non contraignant, proposant de « fixer à 16 ans l’âge minimal harmonisé dans l’UE pour accéder aux réseaux sociaux, aux plateformes de partage de vidéos et aux compagnons d’IA, tout en permettant l’accès des 13-16 ans avec le consentement parental ».
En parallèle de ses efforts à l’échelle européenne, le gouvernement français s’apprête à examiner, dès le 19 janvier 2026, une proposition de loi déposée le 18 novembre par la députée Laure Miller (Ensemble pour la République) « visant à protéger les mineurs des risques auxquels les expose l’utilisation des réseaux sociaux » dont la principale disposition est l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. « Nous soutenons les mesures allant vers l’interdiction des réseaux », souligne Agnès Fabre, « mais tant que l’on met un smartphone entre les mains d’un collégien, cela reste compliqué de savoir ce qu’il s’y passe. Nous considérons qu’il faut aller plus loin que l’interdiction de l’accès aux réseaux et promouvons le fait de ne pas équiper les jeunes de smartphones avant l’âge de 15 ans. »

