Au Liban, le chef de l’Église latine revient sur la visite du pape | ZENIT – Français
Interview Mgr César Essayan : « Ou bien le Liban se reprend pour une résurrection, ou c’est fini »
Libanais d’origine arménienne, Mgr César Essayan est vicaire apostolique des latins au Liban depuis 2016, et vit à Beyrouth. Alors que le Liban est en crise et souffre de la guerre au Proche-Orient, l’évêque franciscain conventuel confie sa joie d’avoir pu accueillir tout récemment dans son pays le pape Léon XIV.
Zenit : Quels ont été les moments les plus marquants pour vous lors de la visite du pape au Liban ? « Relève-toi, Liban ; ressuscite, Liban! »
Mgr César Essayan : J’ai été particulièrement marqué par trois visites inhabituelles : le sanctuaire de Saint-Charbel, l’hôpital de la Croix et le port de Beyrouth. Au sanctuaire de Saint-Charbel, le pape a rappelé l’importance du silence, du retour à la Parole de Dieu, de l’humilité. En visitant l’hôpital de la Croix, il a rappelé qu’aucune personne ne peut être exclue de l’amour de Dieu. Et au port de Beyrouth, il a affirmé qu’il n’y a pas de possibilité de paix sans recherche de vérité et de justice.
La rencontre au Palais présidentiel a aussi été très significative. Le pape a encore une fois axé son discours sur la paix, la réconciliation, la justice, mais aussi sur le Liban : ce Liban qui a toujours été au cœur de l’Église de Rome, et qui est un « message » de coexistence. En sens-là, le Liban doit retrouver sa vocation et son identité. Le pape a aussi rappelé que la guerre ne peut rien porter de bon, qu’il est temps de changer de système de pensée et d’aller vers le dialogue.
La rencontre à Harissa a regroupé plus de 2 750 évêques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, des personnes engagées à servir sur le territoire libanais, qu’elles soient d’ici ou venues d’ailleurs. Des témoignages ont été donnés devant le pape, offrant un visage de l’Église du Liban que l’on ne voit pas souvent.
Zenit : Le pape Léon XIV dit qu’il ne faut pas renoncer au modèle de coexistence au Liban : comment marche la cohabitation dans cette mosaïque religieuse ?
Mgr C. Essayan : Oui, on ne peut pas renoncer ! C’est une cohabitation de fait. Il ne faut pas oublier que nous avons au Liban une grande majorité de familles mixtes : des catholiques et orthodoxes, des catholiques et protestants, des catholiques et musulmans. Et la sagesse des Libanais est de trouver le moyen de vivre ensemble sans se faire la guerre. Les gens travaillent ensemble, sont ensemble à l’école et à l’université. Ils ont appris à parler ensemble dans les lieux communs.
Le grand problème est le fondamentalisme qui utilise l’appartenance religieuse pour créer des divisions, et qui sert les intérêts de certains. En tant que Libanais, nous n’avons justement jamais considéré que la religion est source de conflits entre nous. Le pape nous appelle à purifier notre regard sur la foi et aller à la rencontre de l’autre, pour que nous puissions ensemble construire quelque chose de plus beau et de plus vrai.
Zenit : Le pape a aussi vécu un moment fort avec 15 000 jeunes libanais. Que leur a-t-il dit, au fond ?
Mgr C. Essayan : Il leur a dit : « Vous pouvez changer le cours de l’histoire ! ». Cette parole est fondamentale, parce que nous vivons dans un pays qui ne veut plus permettre aux jeunes et aux gens de choisir librement. Il leur a dit aussi : « Soyez des personnes libres. Vous pouvez penser par vous-mêmes, évaluer, discerner ce que l’esprit vous dit aujourd’hui. Vous n’êtes pas obligés d’être des esclaves d’une pensée préfabriquée qu’on essaie de vous inculquer. Revenez à la source, revenez à l’Évangile, revenez au Seigneur ! »
Ce qui est beau, c’est que le pape a rappelé aux jeunes que leur vocation est profondément christique. Le Christ lui-même a changé le cours de l’histoire. Donc nous pouvons nous aussi changer le cours de l’histoire, mais uniquement si nous restons unis au « Seigneur de l’histoire », qui est le Seigneur Jésus-Christ.
Le plus fort dans cette rencontre, c’est que le pape lui-même a fait l’événement. On a découvert un pape avec un cœur qui était immensément grand et avec une sagesse extraordinaire. Un pape qui s’était déjà préparé à nous rencontrer, mais qui s’est aussi laissé surprendre. Un pape qui nous aussi touchés par ses paroles, par son amour pour notre pays. Je crois que le Liban a déjà sa « génération pape Léon » !
Zenit : Il a aussi beaucoup encouragé le peuple libanais et a salué sa résilience. Comment cette visite pourra donner un élan à votre pays ?
Mgr C. Essayan : Le pape Léon XIV n’est pas le premier pape à être venu au Liban. Saint Jean-Paul II nous avait donné un grand espoir, alors que nous notre pays était dans une situation lamentable. Il a écrit une exhortation et a organisé un synode spécialement pour le Liban. Après sa visite en 1997, nous aurions dû recueillir tout ce qu’il nous donnait à ce moment-là, mais on n’a pas réussi à le faire.
Puis on a eu Benoît XVI, avec le synode sur le Moyen-Orient, qu’il a signé chez nous en septembre 2012. Mais nous avons raté encore une fois cette chance !… Enfin, si le pape François n’a pas pu venir lui-même dans notre pays, il a co-signé la déclaration d’Abu Dhabi en 2019 et nous a laissé un document majeur comme Fratelli tutti. Il a également organisé au Vatican une journée spécialement pour le Liban, du jamais vu. Mais encore une fois, nous n’avons pas pu saisir cette opportunité.
Quant au pape Léon XIV, il est venu durant une année jubilaire, alors que cela ne se fait pas habituellement. Il a voulu remettre le Liban au milieu de la scène internationale, pour dire combien ce pays est cher au cœur de l’Église et ce qu’il représente pour le monde. Il a d’ailleurs demandé à toute la communauté internationale de soutenir le Liban.
Nous devons donc aujourd’hui saisir cette occasion pour parler et dialoguer ensemble, réaliser ce que demande le pape. C’est notre dernière chance d’être pour le monde cette lumière que Dieu attend. Durant la visite du pape et après, j’ai rencontré ou revu plusieurs personnes, des chrétiens et musulmans. Ils m’ont dit : « Après cette visite, il faut qu’on s’assoie et qu’on travaille ensemble. Il nous faut absolument mettre en pratique ce que le pape nous a dit. »
Nous sommes maintenant dans une étape cruciale. Ce qui s’est passé avec le pape ici est très beau, mais nous ne pouvons pas accepter que ce soit une parenthèse dans la vie du Liban : ou bien le Liban se reprend pour une résurrection, ou c’est fini. Je pense que le pape, en venant ici, a pris un risque pour nous.
Zenit : Enfin, quels sont les mots qui résonnent en vous après le passage du pape Léon XIV ?
Mgr C. Essayan : Lors la messe à Beyrouth, le pape a appelé le Liban à se relever. Le message fort du pape est celui-ci : « Relève-toi, Liban, ressuscite Liban ! Enracinés comme le cèdre, il faut que nous soyons forts et courageux. Nous sommes capables de nous relever et d’avoir un pays ressuscité qui porte jusqu’au bout la vocation que Dieu lui a donnée, et que l’Église a confirmée à travers le temps. »

