Dans l’après-midi du lundi 27 octobre, le pape Léon XIV a présidé la célébration eucharistique en la basilique Saint-Pierre, à l’occasion de la rencontre avec les étudiants et les équipes des universités ecclésiastiques de Rome. Avant la messe, le pape Léon XIV a signé la lettre apostolique « Dessiner de nouvelles cartes d’espérance », soixante ans après la déclaration conciliaire Gravissimum educationis de saint Paul VI. La lettre apostolique a été publiée le 28 octobre 2025.
Lettre apostolique DESSINER DE NOUVELLES CARTES D’ESPÉRANCE du pape Léon XIV à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration conciliaire Gravissimum educationis
Traduction réalisée par ZENIT 1.
Préambule
1.1. Dessiner de nouvelles cartes d’espérance. Le 28 octobre 2025 marque le 60e anniversaire de la Déclaration conciliaire Gravissimum Educationis sur l’extrème importance et l’actualité de l’éducation dans la vie de la personne humaine. Par ce texte, le Concile Vatican II a rappelé à l’Église que l’éducation n’est pas une activité accessoire, mais qu’elle constitue le tissu même de l’évangélisation : c’est la manière concrète par laquelle l’Évangile devient un geste éducatif, une relation et une culture. Aujourd’hui, face à des changements rapides et à des incertitudes déstabilisantes, cet héritage fait preuve d’une résilience surprenante. Là où les communautés éducatives se laissent guider par la parole du Christ, elles ne reculent pas, mais se relancent ; elles n’érigent pas de murs, mais construisent des ponts. Elles réagissent avec créativité, ouvrant de nouvelles possibilités de transmission de savoir et de sens dans les écoles, les universités, la formation professionnelle et civile, la pastorale scolaire et celle des jeunes, et la recherche, car l’Évangile ne vieillit pas, mais fait « toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Chaque génération l’entend comme un message nouveau et régénérateur. Chaque génération est responsable de l’Évangile et de la découverte de sa puissance fondatrice et multiplicatrice.
1.2. Nous vivons dans un environnement éducatif complexe, fragmenté et numérisé. C’est précisément pour cette raison qu’il est judicieux de s’arrêter et de recentrer notre regard sur la « cosmologie de la paideia chrétienne » : une vision qui, au fil des siècles, a su se renouveler et inspirer positivement toutes les facettes multiples de l’éducation. Dès les origines, l’Évangile a engendré des « constellations éducatives » : des expériences à la fois humbles et fortes, capables d’interpréter les temps, de préserver l’unité entre foi et raison, entre pensée et vie, entre connaissance et justice. Dans les tempêtes, elles ont été une ancre de salut ; et dans le calme, une voile déployée. Un phare dans la nuit pour guider la navigation.
1.3. La Déclaration Gravissimum Educationis n’a rien perdu de sa force. De sa réception est né un ensemble d’œuvres et de charismes qui indique encore aujourd’hui le chemin : écoles et universités, mouvements et instituts, associations de laïcs, congrégations religieuses et réseaux nationaux et internationaux. Ensemble, ces organismes vivants ont consolidé un héritage spirituel et pédagogique capable de traverser le XXIe siècle et de répondre aux défis les plus urgents. Cet héritage n’est pas figé : c’est une boussole qui continue d’indiquer la direction et de témoigner de la beauté du chemin. Les attentes d’aujourd’hui ne sont pas moindres que celles auxquelles l’Église était confrontée il y a soixante ans. Elles se sont même élargies et complexifiées. Face aux millions d’enfants dans le monde qui n’ont toujours pas accès à l’école primaire, comment ne pas agir ? Face aux situations dramatiques d’urgence éducative causées par les guerres, les migrations, les inégalités et les diverses formes de pauvreté, comment ne pas ressentir l’urgence de renouveler notre engagement ? L’éducation – comme je l’ai rappelé dans mon exhortation apostolique Dilexi te – « est l’une des plus hautes expressions de la charité chrétienne » [1] . Le monde a besoin de cette forme d’espérance.
2. Une histoire dynamique
2.1. L’histoire de l’éducation catholique est l’histoire de l’Esprit à l’œuvre. L’Église est « mère et maîtresse » [2] non par suprématie, mais par service : elle engendre à la foi et accompagne la croissance dans la liberté, assumant la mission du divin Maître afin que tous « aient la vie et l’aient en abondance » (Jn 10, 10). Les styles éducatifs qui se sont succédé témoignent d’une vision de l’homme à l’image de Dieu, appelé à la vérité et au bien, et d’un pluralisme de méthodes au service de cette vocation. Les charismes éducatifs ne sont pas des formules figées : ils sont des réponses originales aux besoins de chaque époque.
2.2. Aux premiers siècles, les Pères du désert enseignaient la sagesse par des paraboles et des apophtegmes ; ils redécouvraient la voie de l’essentiel, de la discipline de la langue et de la garde du cœur ; ils transmettaient une pédagogie du regard qui reconnaît Dieu partout. Saint Augustin, greffant la sagesse biblique sur la tradition gréco-romaine, a compris que le maître authentique suscite le désir de vérité, éduque à la liberté de lire les signes et d’écouter la voix intérieure. Le monachisme a perpétué cette tradition dans les lieux les plus inaccessibles, où, pendant des décennies, les œuvres classiques ont été étudiées, commentées et enseignées, à tel point que, sans ce travail silencieux au service de la culture, tant de chefs-d’œuvre ne seraient pas parvenus jusqu’à nous. « Du cœur de l’Église », naquirent alors les premières universités, qui se révélèrent dès leurs origines « un centre incomparable de créativité et de rayonnement du savoir pour le bien de l’humanité » [3] . Dans leurs salles de classe, la pensée spéculative a trouvé, grâce à la médiation des Ordres Mendiants, la possibilité de se structurer solidement et de repousser les limites de la science. De nombreuses congrégations religieuses ont fait leurs premiers pas dans ces domaines du savoir, enrichissant l’éducation d’une manière pédagogique innovante et socialement visionnaire.
2.3. Elle s’est exprimée de multiples façons. Dans la Ratio Studiorum, la richesse de la tradition scolastique fusionne avec la spiritualité ignatienne, adaptant un programme d’études aussi complexe qu’interdisciplinaire et ouvert à l’expérimentation. À Rome, au XVIIe siècle, saint Joseph de Calasanz a ouvert des écoles gratuites pour les pauvres, conscient que savoir lire et compter est une dignité avant même la compétence. En France, saint Jean-Baptiste de La Salle , « conscient de l’injustice causée par l’exclusion des enfants d’ouvriers et de paysans du système éducatif » [4], fonda les Frères des Écoles chrétiennes. Au début du XIXe siècle, toujours en France, saint Marcellin Champagnat se consacra « de tout son cœur, à une époque où l’accès à l’éducation restait le privilège de quelques-uns, à la mission d’éduquer et d’évangéliser les enfants et les jeunes » [5] . De même, saint Jean Bosco , avec sa « méthode préventive », a transformé la discipline en raison et en proximité. Des femmes courageuses, comme Vicenza Maria López y Vicuña , Francesca Cabrini , Giuseppina Bakhita , Maria Montessori, Katharine Drexel ou Elizabeth Ann Seton, ont ouvert des perspectives aux filles, aux migrantes, aux plus démunies. Je réitère ce que j’ai clairement affirmé dans Dilexi te : « L’éducation des pauvres, pour la foi chrétienne, n’est pas une faveur, mais un devoir » [6] . Cette généalogie du concret témoigne que, dans l’Église, la pédagogie n’est jamais une théorie désincarnée, mais chair, passion et histoire.
3. Une tradition vivante
3.1. L’éducation chrétienne est un travail commun : personne n’éduque seul. La communauté éducative est un « nous » où l’enseignant, l’élève, la famille, le personnel administratif et de service, les pasteurs et la société civile convergent pour engendrer la vie [7] . Ce « nous » empêche l’eau de stagner dans le marécage du « on a toujours fait ainsi » et force cette eau à couler, à nourrir, à irriguer. Le fondement reste le même : la personne, image de Dieu ( Gn 1, 26), capable de vérité et de relation. La question du rapport entre foi et raison n’est donc pas un chapitre facultatif : « la vérité religieuse n’est pas seulement une partie, mais une condition de la connaissance générale » [8] . Ces paroles de saint John Henry Newman – que, dans le contexte de ce Jubilé du Monde Educatif, j’ai la grande joie de déclarer co-patron de la mission éducative de l’Église avec saint Thomas d’Aquin – sont une invitation à renouveler notre engagement en faveur d’une connaissance aussi responsable et rigoureuse du point de vue intellectuel, que profondément humaine. Nous devons également veiller à ne pas tomber dans l’illusion d’une fides qui correspond exclusivement avec la ratio. Nous devons dépasser les obstacles en retrouvant une vision empathique, ouverte à une compréhension toujours plus profonde de la façon dont l’homme se perçoit lui-même aujourd’hui, afin de développer et d’approfondir notre enseignement. Par conséquent, le désir et le cœur ne doivent pas être séparés de la connaissance : cela reviendrait à briser la personne. Les universités et les écoles catholiques sont des lieux où les questions ne sont pas tues, et où le doute n’est pas banni, mais accompagné. Le cœur, là, dialogue avec le cœur, et la méthode est celle de l’écoute, qui reconnaît l’autre comme un bien, et non comme une menace. « Cor ad cor loquitur » était la devise cardinalice de saint John Henry Newman, tirée d’une lettre de saint François de Sales : « C’est la sincérité du cœur, et non l’abondance des paroles, qui touche le cœur des hommes. »
3.2. Éduquer est un acte d’espérance et une passion qui se renouvelle car elle manifeste la promesse que nous entrevoyons dans l’avenir de l’humanité [9] . La spécificité, la profondeur et l’ampleur de l’action éducative résident dans ce travail – aussi mystérieux que réel – de « faire fleurir l’être […] c’est prendre soin de l’âme », comme nous le lisons dans l’Apologie de Socrate de Platon (30a-b). C’est un « métier de promesses » : temps, confiance, compétence sont promis ; justice et miséricorde sont promises, le courage de la vérité et le baume de la consolation sont promis. Éduquer est un devoir d’amour qui se transmet de génération en génération, réparant le tissu déchiré des relations et redonnant aux mots le poids de la promesse : « Tout homme est capable de vérité, mais le chemin est très supportable lorsqu’on avance avec l’aide des autres » [10] . La vérité se cherche en communauté.
4. La boussole de Gravissimum educationis
4.1. La déclaration conciliaire Gravissimum educationis réaffirme le droit de chacun à l’éducation et identifie la famille comme la première école d’humanité. La communauté ecclésiale est appelée à soutenir des environnements qui intègrent foi et culture, respectent la dignité de chacun et dialoguent avec la société. Le document met en garde contre toute réduction de l’éducation à une formation fonctionnelle ou à un outil économique : une personne n’est pas un « profil de compétences », ni réduite à un algorithme prévisible, mais un visage, une histoire, une vocation.
4.2. La formation chrétienne embrasse la personne dans sa globalité : spirituelle, intellectuelle, affective, sociale, corporelle. Elle n’oppose pas le manuel et le théorique, la science et l’humanisme, la technique et la conscience ; elle exige au contraire que le professionnalisme soit habité par une éthique, et que l’éthique ne soit pas un mot abstrait mais une pratique quotidienne. L’éducation ne mesure pas sa valeur uniquement à l’aune de l’efficacité : elle la mesure à l’aune de la dignité, de la justice, de la capacité de servir le bien commun. Cette vision anthropologique intégrale doit demeurer la pierre angulaire de la pédagogie catholique. Elle s’inscrit dans le sillage de la pensée de saint John Henry Newman et s’oppose à une approche purement mercantile qui, aujourd’hui, impose souvent de mesurer l’éducation en termes de fonctionnalité et d’utilité pratique [11] .
4.3. Ces principes ne sont pas des souvenirs du passé. Ce sont des étoiles fixes. Ils affirment que la vérité se cherche ensemble ; que la liberté n’est pas un caprice, mais une réponse ; que l’autorité n’est pas une domination, mais un service. Dans le contexte éducatif, il ne faut pas « hisser le drapeau de la possession de la vérité, ni dans l’analyse des problèmes, ni dans leur résolution » [12] . Au contraire, « il est plus important de savoir comment les aborder, plutôt que de donner une réponse hâtive sur le pourquoi d’un événement ou sur la manière de le surmonter. L’objectif est d’apprendre à affronter les problèmes, toujours différents, car chaque génération est nouvelle, avec de nouveaux défis, de nouveaux rêves, de nouvelles questions » [13] . L’éducation catholique a la tâche de reconstruire la confiance dans un monde marqué par les conflits et les peurs, en nous rappelant que nous sommes des enfants et non des orphelins : de cette conscience naît la fraternité.
5. La centralité de la personne
5.1. Placer la personne au centre signifie éduquer avec la vision à long terme d’Abraham ( Gn 15, 5) : aider les personnes à découvrir le sens de la vie, la dignité inaliénable et la responsabilité envers les autres. L’éducation n’est pas seulement la transmission de contenus, mais un apprentissage des vertus. Elle forme des citoyens capables de servir et des croyants capables de témoigner, des hommes et des femmes plus libres, qui ne sont plus seuls. Et la formation ne s’improvise pas. Je me souviens avec joie des années passées dans le cher diocèse de Chiclayo, visitant l’Université catholique de San Toribio de Mogrovejo, et des occasions que j’ai eues de m’adresser à la communauté universitaire en disant : « On ne naît pas professionnel ; chaque parcours universitaire se construit étape par étape, livre par livre, année après année, sacrifice après sacrifice » [14] .
5.2. L’école catholique est un milieu où foi, culture et vie s’entremêlent. Ce n’est pas simplement une institution, mais un lieu de vie où la vision chrétienne imprègne chaque discipline et chaque interaction. Les éducateurs sont appelés à une responsabilité qui va au-delà du contrat de travail : leur témoignage est aussi précieux que leurs leçons. C’est pourquoi la formation des enseignants – scientifique, pédagogique, culturelle et spirituelle – est déterminante. Dans le partage de la mission éducative commune, un parcours de formation commun est également nécessaire, « initial et continu, capable de saisir les défis éducatifs du moment et de fournir des outils plus efficaces pour y faire face […]. Cela implique chez les éducateurs une volonté d’apprendre et de développer leurs connaissances, de renouveler et d’actualiser leurs méthodologies, mais aussi de se former et de partager leurs savoirs spirituels et religieux » [15] . Et les mises à jour techniques ne suffisent pas : il est nécessaire de maintenir un cœur qui écoute, un regard qui encourage, une intelligence qui discerne.
5.3. La famille demeure le premier lieu d’éducation. L’école catholique collabore avec les parents, elle ne les remplace pas, car « le devoir d’éducation, notamment religieuse, leur incombe avant tout » [16] . L’alliance éducative exige intentionnalité, écoute et coresponsabilité. Elle se construit avec des processus, des outils et des évaluations partagées. C’est à la fois un effort et une bénédiction : lorsqu’elle fonctionne, elle inspire confiance ; lorsqu’elle fait défaut, tout devient plus fragile.
6. Identité et subsidiarité
6.1. Gravissimum Educationis reconnaissait déjà une grande importance au principe de subsidiarité et à la diversité des situations selon les contextes ecclésiaux locaux. Le Concile Vatican II, cependant, a affirmé la validité universelle du droit à l’éducation et de ses principes fondateurs. Il a souligné les responsabilités qui incombent tant aux parents eux-mêmes qu’à l’État. Il a considéré comme un « droit sacré » l’offre d’une éducation permettant aux élèves d’« évaluer les valeurs morales en toute bonne conscience » [17] et a demandé aux autorités civiles de respecter ce droit. Il a également mis en garde contre la subordination de l’éducation au marché du travail et à la logique souvent inflexible et inhumaine de la finance.
6.2. L’éducation chrétienne se présente comme une chorégraphie. S’adressant aux universitaires lors des Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne , mon regretté prédécesseur, le pape François, disait : « Soyez les protagonistes d’une nouvelle chorégraphie qui place la personne humaine au centre ; soyez les chorégraphes de la danse de la vie » [18] . Former la personne « intégrale » signifie éviter les compartiments étanches. La foi, lorsqu’elle est vraie, n’est pas une « matière » ajoutée, mais un souffle qui oxygène toute autre matière. Ainsi, l’éducation catholique devient levain dans la communauté humaine : elle engendre la réciprocité, surmonte le réductionnisme, ouvre à la responsabilité sociale. La tâche aujourd’hui est d’oser un humanisme intégral qui affronte les questions de notre temps sans perdre sa source.
7. Contemplation de la Création
7.1. L’anthropologie chrétienne est à la base d’un style éducatif qui promeut le respect, l’accompagnement personnalisé, le discernement et le développement de toutes les dimensions humaines. Parmi celles-ci, un élan spirituel n’est pas secondaire, qui se concrétise et se renforce également par la contemplation de la Création. Cet aspect n’est pas nouveau dans la tradition philosophique et théologique chrétienne, où l’étude de la nature avait également pour but de mettre en évidence les traces de Dieu (vestigia Dei) dans notre monde. Dans les Collationes in Hexaemeron, saint Bonaventure de Bagnoregio écrit : « Le monde entier est une ombre, un chemin, une empreinte. C’est le livre écrit de l’extérieur (Ez 2, 9), car en chaque créature se reflète le modèle divin, mais mêlé d’obscurité. Le monde est donc un chemin semblable à l’opacité mêlée de lumière ; en ce sens, il est un chemin. De même qu’un rayon de lumière qui pénètre par une fenêtre se colore de différentes couleurs selon les différentes parties du verre, le rayon divin se reflète différemment dans chaque créature et acquiert des propriétés différentes » [19] . Cela s’applique également à la plasticité de l’enseignement, calibré sur les différents caractères qui, en tout cas, convergent vers la beauté de la Création et sa protection. Et les projets éducatifs requièrent « l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité exercées comme sagesse et créativité » [20].
7.2. L’oubli de notre humanité commune a engendré divisions et violences ; et lorsque la terre souffre, les pauvres souffrent encore davantage. L’éducation catholique ne peut rester silencieuse : elle doit unir la justice sociale et environnementale, promouvoir la modération et des modes de vie durables, et former des consciences capables de choisir non seulement ce qui est pratique, mais aussi ce qui est juste. Chaque petit geste – éviter le gaspillage, choisir de manière responsable, défendre le bien commun – est une éducation culturelle et morale.
7.3. La responsabilité écologique ne se limite pas aux données techniques. Elles sont nécessaires, mais non suffisantes. Ce qu’il faut, c’est une éducation qui mobilise l’esprit, le cœur et les mains ; de nouvelles habitudes, des styles de vie communautaire, des pratiques vertueuses. La paix n’est pas l’absence de conflit : c’est une force douce qui rejette la violence. Une éducation à la paix « désarmée et désarmante » [21] nous apprend à déposer les armes des paroles agressives et du regard critique, pour apprendre le langage de la miséricorde et de la justice réconciliée.
8. Une constellation éducative
8.1. Je parle de « constellation » car le monde éducatif catholique est un réseau vivant et pluriel : écoles et collèges paroissiaux, universités et instituts supérieurs, centres de formation professionnelle, mouvements, plateformes numériques, initiatives d’apprentissage par le service, et pastorales scolaires, universitaires et culturelles. Chaque « étoile » a sa propre luminosité, mais ensemble, elles tracent un chemin. Là où autrefois régnait la rivalité, nous demandons aujourd’hui aux institutions de converger : l’unité est notre force la plus prophétique.
8.2. Les différences méthodologiques et structurelles ne sont pas des fardeaux, mais des ressources. La pluralité des charismes, bien coordonnée, crée un cadre cohérent et fécond. Dans un monde interconnecté, le jeu se joue à deux niveaux : local et mondial. Echanges d’enseignants et d’étudiants, projets communs entre continents, reconnaissance mutuelle des bonnes pratiques, coopération missionnaire et universitaire sont nécessaires. L’avenir nous demande d’apprendre à collaborer davantage, à grandir ensemble.
8.3. Les constellations reflètent leurs propres lumières dans un univers infini. Tel un kaléidoscope, leurs couleurs s’entremêlent, créant de nouvelles variations chromatiques. Cela est vrai au sein des institutions éducatives catholiques qui sont ouvertes à la rencontre et à l’écoute de la société civile, des autorités politiques et administratives, ainsi que des représentants des secteurs productifs et des catégories professionnelles. Elles sont appelées à collaborer encore plus activement ensemble pour partager et améliorer les programmes éducatifs, afin que la théorie soit étayée par l’expérience et la pratique. L’histoire nous enseigne également que nos institutions accueillent des élèves et des familles non croyants ou d’autres religions, mais désireux d’une éducation véritablement humaine. C’est pourquoi, comme c’est déjà le cas, nous devons continuer à promouvoir des communautés éducatives participatives, au sein desquelles laïcs, religieux, familles et élèves partagent la responsabilité de la mission éducative avec les institutions publiques et privées.
9. Naviguer dans de nouveaux espaces
9.1. Il y a soixante ans, Gravissimum Education inaugurait une nouvelle ère de confiance : elle encourageait la mise à jour des méthodes et des langages. Aujourd’hui, cette confiance se mesure à l’aune de l’environnement numérique. Les technologies doivent servir les personnes, et non les remplacer ; elles doivent enrichir le processus d’apprentissage, et non appauvrir les relations et les communautés. Une université et une école catholiques sans vision risquent une efficacité dénuée d’âme, une standardisation du savoir, qui mène ensuite à l’appauvrissement spirituel.
9.2. Pour habiter ces espaces, la créativité pastorale est nécessaire : renforcer la formation des enseignants, y compris la formation numérique ; valoriser l’enseignement actif ; promouvoir l’apprentissage par le service et la citoyenneté responsable ; éviter toute technophobie. Notre attitude envers la technologie ne peut jamais être hostile, car « le progrès technologique fait partie du projet de Dieu sur la création » [22] . Mais cela exige du discernement dans la planification de l’enseignement, l’évaluation, les plateformes, la protection des données et l’égalité d’accès. En tout cas, aucun algorithme ne peut remplacer ce qui rend l’éducation humaine : la poésie, l’ironie, l’amour, l’art, l’imagination, la joie de la découverte, et même apprendre à se tromper comme une opportunité de croissance.
9.3. L’essentiel n’est pas la technologie, mais la manière dont nous l’utilisons. L’intelligence artificielle et les environnements numériques doivent viser à protéger la dignité, la justice et le travail ; ils doivent être régis par des critères d’éthique publique et de participation ; ils doivent être accompagnés d’une réflexion théologique et philosophique appropriée. Les universités catholiques ont une tâche cruciale : offrir une « diaconie de la culture », moins de chaires et davantage de tables rondes où nous pouvons nous asseoir ensemble, sans hiérarchies inutiles, pour toucher les blessures de l’histoire et chercher, dans l’Esprit, la sagesse qui naît de la vie des peuples.
10. L’étoile polaire du pacte éducatif
10.1. Parmi les étoiles qui guident notre chemin figure le Pacte mondial pour l’éducation. J’accueille avec gratitude cet héritage prophétique que le pape François nous a confié. C’est une invitation à nouer des alliances et des réseaux pour éduquer à la fraternité universelle. Ses sept parcours demeurent notre fondement : placer la personne au centre ; écouter les enfants et les jeunes ; promouvoir la dignité et la pleine participation des femmes ; reconnaître la famille comme première éducatrice ; s’ouvrir à l’acceptation et à l’inclusion ; renouveler l’économie et la politique au service de l’humanité ; protéger notre maison commune. Ces « étoiles » ont inspiré les écoles, les universités et les communautés éducatives du monde entier, générant des processus concrets d’humanisation.
10.2. Soixante ans après Gravissimum Educationis et cinq ans après le Pacte, l’histoire nous interpelle avec une urgence nouvelle. Des changements rapides et profonds exposent les enfants, les adolescents et les jeunes à des fragilités sans précédent. Il ne suffit pas de conserver : il faut revitaliser. J’appelle toutes les institutions éducatives à inaugurer une ère nouvelle qui parle au cœur des nouvelles générations, en réconciliant savoir et sens, compétence et responsabilité, foi et vie. Le Pacte s’inscrit dans une Constellation Educative Mondiale plus vaste : charismes et institutions, bien que divers, forment un projet unifié et lumineux qui guide nos pas dans l’obscurité du temps présent.
10.3. Aux sept parcours, j’ajoute trois priorités. La première concerne la vie intérieure : les jeunes demandent de la profondeur ; ils ont besoin d’espaces de silence, de discernement et de dialogue avec leur conscience et avec Dieu. La deuxième concerne la numérisation humaine : nous éduquons à l’utilisation judicieuse des technologies et de l’IA, en plaçant la personne avant l’algorithme et en harmonisant les intelligences technique, émotionnelle, sociale, spirituelle et écologique. La troisième concerne la paix désarmée et désarmante : nous éduquons aux langages non violents, à la réconciliation, aux ponts, et non aux murs ; « Heureux les artisans de paix » (Mt 5,9) devient la méthode et le contenu de l’apprentissage.
10.4. Nous sommes conscients que le réseau éducatif catholique possède une capillarité unique. C’est une constellation qui atteint tous les continents, avec une présence particulière dans les zones à faibles revenus : une promesse concrète de mobilité éducative et de justice sociale [23] . Cette constellation exige qualité et courage : qualité dans la planification pédagogique, dans la formation des enseignants, dans la gouvernance ; courage pour garantir l’accès aux plus pauvres, pour soutenir les familles vulnérables, pour promouvoir les bourses et les politiques inclusives. La gratuité évangélique n’est pas rhétorique : c’est un style de relation, une méthode et un objectif. Là où l’accès à l’éducation reste un privilège, l’Église doit ouvrir les portes et inventer des voies, car « perdre les pauvres » équivaut à perdre l’école elle-même. Cela vaut également pour l’université : une perspective inclusive et le soin du cœur préservent de la standardisation ; l’esprit de service ravive l’imagination et rallume l’amour.
11. Nouvelles cartes de l’espérance
11.1. À l’occasion du soixantième anniversaire de Gravissimum Educationis , l’Église célèbre une histoire éducative féconde, mais elle est également confrontée à l’impératif d’actualiser ses propositions à la lumière des signes des temps. Les constellations éducatives catholiques sont une image inspirante de la manière dont tradition et avenir peuvent s’entremêler sans contradiction : une tradition vivante qui s’étend vers de nouvelles formes de présence et de service. Les constellations ne peuvent se réduire à des connexions neutres et figées d’expériences diverses. Au lieu de chaînes, osons penser à des constellations, à leur entrelacement plein d’émerveillement et d’éveil. En elles réside la capacité de relever les défis avec espérance, mais aussi avec une réforme courageuse, sans perdre la fidélité à l’Évangile. Nous sommes conscients des défis : l’hyper-numérisation peut briser l’attention ; la crise des relations peut blesser le psychisme ; l’insécurité et les inégalités sociales peuvent éteindre le désir. Pourtant, c’est précisément là que l’éducation catholique peut être un phare : non pas un refuge nostalgique, mais un laboratoire de discernement, d’innovation pédagogique et de témoignage prophétique. Dessiner de nouvelles cartes de l’espérance : telle est l’urgence du mandat.
11.2. Je demande aux communautés éducatives : désarmez vos paroles, levez le regard, gardez votre cœur. Désarmez vos paroles, car l’éducation ne progresse pas par la polémique, mais par la douceur de l’écoute. Levez le regard. Comme Dieu le dit à Abraham : « Regarde le ciel et compte les étoiles » (Gn 15, 5) : demandez-vous où vous allez et pourquoi. Gardez votre cœur : la relation passe avant l’opinion, la personne avant le programme. Ne perdez pas de temps et d’opportunités : « Pour reprendre une expression augustinienne : notre présent est une intuition, un temps que nous vivons et dont nous devons profiter avant qu’il ne nous échappe » [24] . En conclusion, chers frères et sœurs, je fais mienne l’exhortation de l’apôtre Paul : « Vous brillez comme les astres dans l’univers, en tenant ferme la parole de vie » (Ph 2, 15-16).
11.3. Je confie ce chemin à la Vierge Marie, Sedes Sapientiae , et à tous les saints éducateurs. Je demande aux pasteurs, aux personnes consacrées, aux laïcs, aux responsables institutionnels, aux enseignants et aux étudiants : soyez des serviteurs du monde éducatif, des chorégraphes de l’espérance, des chercheurs infatigables de sagesse, des créateurs crédibles d’expressions de beauté. Moins d’étiquettes, plus d’histoires ; moins d’oppositions stériles, plus de symphonie dans l’Esprit. Alors notre constellation non seulement brillera, mais guidera : vers la vérité qui rend libre (cf. Jn 8, 32), vers la fraternité qui affermit la justice (cf. Mt 23 8), vers l’espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5).
Basilique Saint-Pierre,
le 27 octobre 2025,
veille du 60e anniversaire
LÉON PP. XIV

