01.09.2025
Lundi
Ça sent l’algue, pas le béton.
Ça sent le chlorure de sodium, pas l’échappement.
J’entends le battement d’ailes d’une tourterelle maillée, pas le bourdonnement régulier de
l’autoroute.
J’entends des passants murmurer, rire, discuter — et non plus seulement le bruit sourd de la
circulation. Leurs voix résonnent dans la vieille rue, derrière l’épaisseur du grand portail en
métal vert.
Je sens le sol, solide et rugueux, pas du gazon artificiel.
Ce n’est pas normal. Ça ne ressemble en rien à la région industrielle.
Est-ce réel, ou est-ce que j’hallucine ?
Je sursaute : une feuille de mûrier me frôle le front en tombant. Elle me réveille — et
pourtant, rien ne change. Le rêve continue. J’arrive enfin à croire ce que voient mes yeux.
Je suis là, au milieu de la cour où j’ai toujours aimé venir, exister, enseigner.
Après deux années d’exil dans un « immeuble » au cœur de la zone industrielle, nous
sommes enfin de retour chez nous.
Après le tremblement de terre de 2023, Izmir avait commencé à être rénové petit à petit,
conformément au règlement de construction.
Après la pandémie, le séisme, les incendies… alors que nous pensions qu’aucune nouvelle
épreuve ne pourrait nous atteindre, nous avons eu notre réponse le jour de la rentrée
scolaire 2023-2024.
Ce matin-là, en tant que membres de l’équipe pédagogique et administrative, nous nous
sommes retrouvés dans notre belle cour, ombragée par notre géant bougainvillier rose,
parfumée par les jasmins blancs qui s’enroulaient autour des grillages.
Comme d’habitude, nous avons partagé un petit-déjeuner convivial autour des grandes
tables réunies en un immense rectangle. La joie était palpable.
Pendant le conseil général, notre directeur nous a annoncé qu’il venait d’apprendre que
l’enseignement était désormais interdit dans notre bâtiment, tant qu’il ne serait pas renforcé.
Laissant le choc et le désespoir de côté, nous avons cherché — et trouvé — un autre
bâtiment scolaire. Un lieu qui, à nos yeux, n’avait rien d’une école.
Mais nous n’avions pas le choix. Nous avons déménagé en une semaine. Loin de la mer, au
cœur de la zone industrielle, nous avons accueilli nos élèves.
Le renforcement de notre bâtiment historique a duré deux ans. Durant cette période, nous
avons fait preuve d’un véritable esprit de famille. Nous avons réussi à rester unis, à
enseigner, à nous entraider, à rire et à fêter la vie, malgré les brumes des usines, les odeurs
de béton et d’échappement, et le bourdonnement incessant des camions qui entouraient le
bâtiment d’accueil.
Et ce matin, à nouveau, en tant qu’équipe pédagogique et administrative, nous nous
retrouvons dans notre belle cour. Ni notre bougainvillier géant, ni le parfum des jasmins ne
sont plus là. À leur place, de jeunes arbrisseaux de jasmin ont été plantés. Nous les
élèverons avec patience et amour. Comme toujours, nous avons pris notre petit-déjeuner
ensemble, autour des grandes tables formant un rectangle géant. Tout est à la fois
nouveau… et familier.
Après le conseil général, nous avons fait deux activités ludiques.
Lors de la première, chacun a tiré au sort le nom d’un collègue, qu’il devait décrire
uniquement à l’aide de mots, de qualités ou de souvenirs positifs, pour le faire deviner aux
autres.
La deuxième activité était une compétition de construction : il fallait bâtir la plus haute tour
possible, capable de tenir debout, en utilisant des matériaux insolites que nous leur avions
donnés.
Ça fait du bien de voir notre équipe joyeuse et bien soudée.
Ça sent la mer.
Ça sent le gevrek*.
Nous sommes chez nous.
gevrek : un pain en forme d’anneau, spécialité d’Izmir, dont le célèbre four historique, situé
à proximité du Lycée Saint-Joseph, continue de fonctionner. Chaque matin, une délicieuse
odeur s’échappe du four et emplit la cour.
Aysegul Ugurlu
Professeure de français
Lycée Saint-Joseph d’Izmir
aysegul.ugurlu@izmirsj.k12.tr













