Agnès Pinard Legry – publié le 09/10/24
Recteur du séminaire libanais Redemptoris Mater, situé dans la banlieue sud de Beyrouth (Liban), Mgr Guillaume Bruté de Remur a choisi de poursuivre sa mission dans le pays. Il partage avec Aleteia son quotidien qui s’écrit entre réalisme, espérance et prudence.
Cela fait vingt ans qu’il fréquente les rues animées de Beyrouth, la capitale du Liban, échangeant avec les uns et les autres sur Dieu et la vie. Vingt ans qu’il y œuvre, jour après jour, à la formation des prêtres de demain. Mgr Guillaume Bruté de Remur est le recteur du séminaire libanais Redemptoris Mater qui forme des prêtres qui ont vocation à servir les chrétiens d’Orient de tous pays (Liban, Irak, Égypte, …) et de tout rite (maronite, gréco-catholique, syriaque…). Aujourd’hui pourtant, si son espérance est intacte, la vigilance règne. Son séminaire est situé à Chiyah dans la banlieue sud de Beyrouth, plus précisément dans le quartier d’Ain El Roummaneh, qui signifie littéralement « la source du grenadier », limitrophe du quartier chiite du Hezbollah Hart Hreik.
« Les centres de commandement et de renseignement du Hezbollah bombardés récemment par l’armée israélienne étaient à Chiyah », explique-t-il auprès d’Aleteia. « Nous ne craignons rien pour le moment car nous sommes dans le quartier chrétien mais nous voyons et entendons des bombardements chaque jour. Et les écoles de notre quartier accueillent les déplacés des quartiers chiites. » Tandis qu’Israël poursuit ses frappes ciblées sur Beyrouth, a annoncé ce mardi 8 octobre avoir élargi son offensive terrestre contre le Hezbollah dans le sud du pays et que le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a menacé dans la soirée les Libanais de subir des « destructions » comme à Gaza s’ils ne « libéraient » pas leur pays du Hezbollah, Mgr Guillaume Bruté de Remur partage avec Aleteia son quotidien. Entretien.
Aleteia : Vous avez choisi de rester au Liban malgré les frappes israéliennes et de continuer à accompagner vos neuf séminaristes. Quel est votre quotidien ?
Mgr Guillaume Bruté de Remur : Le séminaire a rouvert le 29 septembre, en même temps que le début des frappes israéliennes. L’atmosphère de la rentrée en a été bouleversé avec une tension et une appréhension palpables sur ce que l’avenir nous réservait. Nous sommes le seul séminaire aussi proche des bombardements car nous sommes un séminaire missionnaire donc il était important pour nous d’être dans un lieu de mission, de brassage des communautés libanaises. Dans les premiers jours nous faisions plutôt les célébrations le soir dans les paroisses, il y avait une incertitude concernant les itinéraires à prendre, des changements d’horaires de dernière minute… Mais au Liban nous sommes habitués à cette adaptabilité continuelle. Finalement l’année académique a démarré le 7 octobre en présentiel pour la faculté de théologie dont les locaux se situent loin des bombardements. C’est étrange car la vie est en train de s’installer comme une vie normale même si nous sommes toujours sur le qui-vive. On ne sait pas s’il va y avoir une extension des bombardements. Il y en a à onze heure, une heure, trois heures, moins certaines nuits, d’autres plus forts…
J’ai la nette sensation que plus que jamais les chrétiens ont une mission pour ce pays. Nous sommes les seuls à porter une culture du pardon, de la réconciliation.
Envisagez-vous un départ du Liban ?
J’étais au Liban lorsque les bipeurs et talkies-walkies ont explosé. On savait qu’il y avait une vraie tension entre Israël et le Hezbollah mais je ne pensais pas que ce serait aller si vite, qu’Israël trouve un moyen de décapiter aussi radicalement le Hezbollah. Cela a été un choc. Beaucoup de gens m’ont dit de fermer le séminaire. Moi, au contraire, j’ai eu l’intime conviction que cette situation m’appelait à être présent au Liban, à y retourner. J’ai la nette sensation que plus que jamais les chrétiens ont une mission pour ce pays. Nous sommes les seuls à porter une culture du pardon, de la réconciliation, à donner la possibilité à des personnes qui se détestent de faire la paix. Au Liban les chrétiens peuvent et doivent briser la chaîne de la haine.
Comment définiriez-vous la mission des chrétiens dans le pays ?
Les chrétiens doivent témoigner quotidiennement de la force du pardon. C’est comme mettre du sel dans une soupe ou un plat. On ne le voit pas mais il donne du goût et de la saveur aux choses. Ce pardon, cette réconciliation, elle s’incarne par exemple dans l’accueil des déplacés. Dans la région de Beyrouth, ils sont à 90% chiites. Et ce sont des ennemis, des cibles potentielles d’Israël. Nous avons une association qui s’occupe de personnes âgées en précarité et nous sommes en train de voir comment élargir son action à l’ensemble des déplacés. Mais cette aide passe d’abord et surtout par le dialogue. Nous devons signifier notre présence à leurs côtés. C’est dans la mesure où on se sent accueilli et aimé que l’on peut à son tour aimer. C’est ce trésor, cette grâce d’avoir été aimé et pardonner par le Christ que nous sommes appelés à transmettre. Je me sentirai criminel de partir aujourd’hui. Mais je suis aussi prudent et je ne mettrai pas en danger la vie des séminaristes.
Avez-vous peur ?
Actuellement je ne suis pas habité par la peur. J’ai été témoin dimanche d’une grosse explosion visant un dépôt d’arme. Les bombardements créent des situations compliquées. Je suis continuellement en train de vérifier les réseaux sociaux, les notifications, qu’Israël ne demande pas en urgence d’évacuer des immeubles en prévision des bombardements etc. Hier soir deux grosses explosions m’ont réveillé en sursaut. J’ai vérifié que nous n’étions pas concernés.
« Mon fils, si tu viens te mettre au service du Seigneur, prépare-toi à subir l’épreuve ; fais-toi un cœur droit, et tiens bon ; ne t’agite pas à l’heure de l’adversité. Attache-toi au Seigneur, ne l’abandonne pas, afin d’être comblé dans tes derniers jours. Toutes les adversités, accepte-les ; dans les revers de ta pauvre vie, sois patient ; car l’or est vérifié par le feu, et les hommes agréables à Dieu, par le creuset de l’humiliation. Dans les maladies comme dans le dénuement, aie foi en lui. Mets ta confiance en lui, et il te viendra en aide ; rends tes chemins droits, et mets en lui ton espérance. » Ce que nous vivons aujourd’hui est une de ces épreuves. À nous de s’attacher encore plus au Seigneur avec humilité et patience. C’est de Lui que le Salut viendra.
Recteur du séminaire libanais Redemptoris Mater, situé dans la banlieue sud de Beyrouth (Liban), Mgr Guillaume Bruté de Remur a choisi de poursuivre sa mission dans le pays. Il partage avec Aleteia son quotidien qui s’écrit entre réalisme, espérance et prudence.
Cela fait vingt ans qu’il fréquente les rues animées de Beyrouth, la capitale du Liban, échangeant avec les uns et les autres sur Dieu et la vie. Vingt ans qu’il y œuvre, jour après jour, à la formation des prêtres de demain. Mgr Guillaume Bruté de Remur est le recteur du séminaire libanais Redemptoris Mater qui forme des prêtres qui ont vocation à servir les chrétiens d’Orient de tous pays (Liban, Irak, Égypte, …) et de tout rite (maronite, gréco-catholique, syriaque…). Aujourd’hui pourtant, si son espérance est intacte, la vigilance règne. Son séminaire est situé à Chiyah dans la banlieue sud de Beyrouth, plus précisément dans le quartier d’Ain El Roummaneh, qui signifie littéralement « la source du grenadier », limitrophe du quartier chiite du Hezbollah Hart Hreik.